Benjamin DRAOULEC, Responsable Partenariats de la société EcoTree

Dans le cadre de cette interview, vous allez faire la connaissance de Benjamin DRAOULEC, de la société EcoTree, qui vous présentera son activité et celle de sa société.

INTERVIEW

10/16/202313 min read

Eric : Bonjour Benjamin, nous te remercions d'avoir accepté cette interview. Pour commencer, pourrais-tu te présenter, ainsi qu’EcoTree.

Benjamin : EcoTree est une société française qui travaille sur le périmètre français et européen pour accompagner les entreprises sur des sujets liés à ce qu'on appelle les “solutions basées sur la nature”. On travaille sur les écosystèmes forestiers et marins pour permettre de les régénérer en nous appuyant sur trois grands axes qui sont la séquestration carbone, la biodiversité, et l'ancrage territorial. Vous l'aurez compris, aujourd'hui, on considère que la séquestration carbone et la protection de la biodiversité doivent s'inscrire localement, avant de s'inscrire mondialement. Compte tenu de mon parcours, j’accompagne notamment les entreprises de l'immobilier, de la construction et de l'aménagement.

Sébastien : Pour résumer, est-ce qu'on peut dire que EcoTree repose sur trois piliers, qui sont la réduction de l'empreinte carbone, la gestion des forêts et la biodiversité ?

Benjamin : Dans les grandes lignes, c'est ça. Petit aparté : on n’intervient pas réellement sur la réduction des empreintes carbone. On va plutôt s'inscrire dans ce qu'on appelle la séquence ERC (« Eviter », « Réduire » et « Compenser»). De mon côté, je vais intervenir sur la partie contribution à la neutralité carbone. On a des impacts négatifs, on le sait, dans l'immobilier, la construction, donc je vais permettre aux entreprises d’avoir des actions compensatrices des effets négatifs (principalement dans le carbone, la gestion de l’eau et la biodiversité). La séquestration du carbone est donc effectivement, l’un des piliers d'action d’EcoTree. Toutefois, notre objectif n'est pas de faire juste de la séquestration carbone. Nous souhaitons allier cette séquestration carbone avec la pérennisation des écosystèmes et de la biodiversité, puisque on estime aujourd'hui que 80% de la biodiversité terrestre est au sein des forêts. On ne voulait pas dissocier les deux parce que c'est deux grands enjeux majeurs et j’irai même plus loin, je pense que la biodiversité nous mettra plus vite en danger en tant qu'espèce que les émissions de gaz à effet de serre. Le dernier point sur lequel on accompagne nos clients, c'est sur la mise en exergue de leurs engagements environnementaux. Nous les accompagnons soit par des formations, soit par du conseil, soit par des actions sur le terrain qui nous permettent en tant que gestionnaire forestier d'avoir un suivi exact de ce qui est fait et de pouvoir leur diffuser toutes les informations nécessaires afin de leur permettre de communiquer sur le sujet.

Eric : Nous avons vu que vous proposiez sur votre site internet de télécharger un livre blanc sur le sujet des crédits carbone, est-ce que tu peux nous expliquer de quoi il s'agit exactement.

Benjamin : C'est parti d'un constat assez simple. Tout le monde parle de carbone mais pas grand monde est réellement sachant sur le sujet, parce que il y a différents types de crédit carbone, parce qu'il y a différents types d'acteurs. Il y a des acteurs locaux, il y a des acteurs internationaux, il y a des crédits qu'on appelle « d'évitement », « de séquestration réelle », « technologique » ou encore « basé sur la nature ». Tout ça fait qu’on est sur un marché qui présente une certaine opacité quand on ne connaît pas. On s'est donc dit qu’il était temps d'expliquer ce qu’il en était et d’établir une grille de lecture très factuelle de ce qu’est aujourd'hui le marché du crédit carbone et permettre à tout un chacun de prendre les bonnes décisions.

Sébastien : Avec Eric, nous en avons pris connaissance. On l’a naturellement téléchargé et on invite tous nos lecteurs à le télécharger car c'est vraiment extrêmement didactique (ici). En partant de la séquence CO2, vous expliquez les erreurs à ne pas commettre, jusqu'au différents crédits carbone et tout ce qu’il est possible de faire. C'est vraiment une mine d’informations.

Benjamin : Je te remercie, on a en effet voulu faire quelque chose qui soit plus le plus clair et plus pédagogique possible pour permettre à tous de bien comprendre ce qu'est le marché du crédit carbone.

Sébastien : On a vu qu’EcoTree avait créé un fonds biodiversité. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Benjamin : Bien sûr. Alors, ce qu'il faut comprendre sur la biodiversité, c'est que chez EcoTree, par la « civil culture » qu’on prône, on va essayer au maximum de faire ce qu'on appelle des forêts à essence mixte et couverts permanents. C’est donc la méthodologie de sylviculture qui va permettre d'éviter les coupes rases et d'avoir le maximum d'habitat pour la biodiversité. Maintenant, ça ne suffit pas de faire que ça en forêt. Il faut également mener des actions spécifiques. Ça peut être des actions d'habitat, ce qu'on appelle des îlots de sénescence. Pour cela, on va laisser des îlots au sein de la forêt en prise naturelle, c'est-à-dire qu'on ne va pas intervenir dessus pour pouvoir préserver la biodiversité. Mais cela va plus loin, on va réintégrer des pollinisateurs avec tous l'écosystème qui va autour. Donc on va créer des haies mellifères, on va intégrer des prairies fleuries, pour permettre de développer des pollinisateurs qui sont à la base de toute biodiversité. Et puis après, il y a tout un volet qui est également important sur les zones humides donc sur leur préservation, sur la recréation de ces zones et sur la création tout simplement de l'humide. Pour permettre de massifier ça au niveau du territoire national et pour permettre d'engager le maximum de clients dans ces sujets-là, on a créé un fond qui permet à chacun (particuliers ou entreprises) de pouvoir y abonder et de venir financer différents projets qui sont liés à l'habitat, le vivant, l'eau pour permettre d'avoir une action systémique au niveau des écosystèmes français à la fois sur l'habitat, sur le vivant et sur la gestion de l'eau. Ce sont des projets qui sont prédéfinis, sur lesquels on a déjà commencé à investir et sur lesquels on permet à nos clients de venir densifier cette action en venant y contribuer. C'est un fonds qu'on a lancé, il y a maintenant trois mois et qui fonctionne plutôt bien. L'objectif était de faire un fonds qui soit le plus large possible et le plus facilement accessible à tout le monde.

Eric : J'ai effectivement l'impression que le sujet de la diversité est un peu mis de côté par rapport au sujet de la séquestration carbone dont on parle beaucoup plus. J'ai noté que le Président de la République avait annoncé début septembre, dans une interview (ici), que désormais chaque élève de 6e devrait planter un arbre ; l'objectif étant d'atteindre un milliard d'arbres. Là on est en plein dans le cœur de la séquestration carbone. Qu'est-ce que tu penses de cette ambition, un peu politique ?

Benjamin : Je pense effectivement que c'est une ambition politique. Moi, pour la petite info, j'ai grandi en Bretagne et, à l'époque, on plantait déjà un arbre en classe de primaire. Je trouve ça plutôt bien d'embarquer les enfants et de venir les sensibiliser sur l'importance des arbres. En revanche, ce qu'on défend nous chez EcoTree, c'est que planter un arbre ça ne suffit pas aujourd'hui. Il faut être sûr qu'il va se pérenniser dans le temps, il faut venir travailler sur des systèmes de protection. Je pense qu'il faut sortir un petit peu de ce schéma et de cette vision politique qui est de planter 1 milliard d'arbres. Il faut plutôt se recentrer sur l'écosystème forestier français. Aujourd'hui, on n'est pas les plus mal lotis en termes de volume de forêts boisées en France. En revanche, on a énormément de d'écosystèmes forestiers français qui sont en carence de gestion. Ca veut dire qu’on ne les entretien plus, que pour certains, ils émettent plus de carbone qu’ils n’en captent… Aujourd'hui il faut vraiment réfléchir au niveau de l'écosystème et avoir une action systémique qui doit effectivement consister à planter des arbres, mais aussi s'assurer qu’il y a de la biodiversité qui va se développer et que ces arbres soient bien gérés. Il s’agit donc d’une action positive pour la pédagogie, mais il faut aller plus loin que ça. D'ailleurs nous avons lancé un appel au Président pour l'accompagner sur ces sujets là, parce que c'est un métier qui doit être fait par des forestiers et qui doit être fait selon des normes et des usages qui sont importants et je ne suis pas sûr qu'on arrive à les mettre en place juste en disant à des sixièmes d'aller planter un arbre.

Eric : Tu évoquais tout à l'heure le fait qu'un arbre puisse émettre plus de carbone qu'il n'en capte. Ça a retenu mon attention. Comment c'est possible ?

Benjamin : Alors, je ne parle pas d'arbre. Je parle plutôt de parcelle forestière. D'ailleurs c’est de cela que l’on parle chez EcoTree. Pourquoi ? Parce qu'un arbre, en tant que tel, oui quand tu vas le planter, il va capter du CO2. En revanche, au niveau de l'écosystème et de la parcelle forestière un arbre qui tombe au sol, qui est mort, va se dégrader donc va relâcher un peu de carbone. C'est plutôt dans ce schéma là qu'il faut avoir conscience, qu’aujourd'hui, avoir une forêt primaire sur le territoire français n’a peu ou pas d'intérêt pour la séquestration carbone. Cependant, elle a de l'intérêt pour la biodiversité ça je ne remets pas en cause. Mais il faut avoir conscience qu'une forêt qui est bien gérée nous rendra plus de co-bénéfices et de services écosystémiques (de la gestion de l'eau, de la biodiversité, de préservation des îlots de chaleur, de la séquestration de carbone). Il faut vraiment avoir conscience aujourd’hui qu’il faut gérer nos forêts. Si vous laissez une forêt en l'état, vous avez le rythme naturel qui se fait et qui empêche ce qu'on appelle la régénération au sol. Cela empêche en fait la forêt d'être la plus résiliente et la plus permanente possible.

Sébastien : Si l’on en vient à l'économie, on a toujours tendance à opposer économie et environnement. Est-ce que tu penses qu'ils soient conciliables ?

Benjamin : Le président d’EcoTree, Erwan Le Ménet, a toujours défendu que le principe que l’objectif d’EcoTree était de réconcilier l'économie et l'écologie. Je m'explique. En fait, aujourd'hui, on a souvent l'impression que si on fait de l'environnement, ça veut dire baisser les actions économiques, ça veut dire parler décroissance pour certains. Je ne pense pas que la décroissance soit le meilleur volet à jouer. Par contre, il est nécessaire d’adapter notre économie en prenant en compte les impacts négatifs que l’on peut avoir. Si l’on prend l'immobilier, par exemple, en face de ses impacts, il faut regarder les nouveaux modes constructifs, les nouveaux modes d'utilisation des actifs qu'on construit que l’on peut mettre en place. Je pense que l'on est tout à fait capable d'avoir une économie qui continue à se développer et en parallèle d'avoir des impacts qui diminuent drastiquement au fil des années et qui vont permettre grâce à cette économie de régénérer des écosystèmes qui ont souvent été mis de côté. Chez EcoTree, on essaie de faire prendre conscience aux entreprises qu’elles peuvent continuer à se développer mais qu’elles ont une obligation morale et éthique de travailler aussi sur la régénération des écosystèmes, sur la reconstruction planétaire pour permettre aux générations futures de continuer sur des modèles pertinents et surtout résilients dans le temps.

Sébastien : En matière de développement immobilier, on observe une vraie prise de conscience, à la fois des constructeurs, des promoteurs et des investisseurs, de ces problématiques et une prise en compte du droit de l’environnement de plus en plus importante dans nos opérations, alors que cela n’était le cas il y a 10 ans.

Benjamin : On va souvent prendre en compte les impacts directs que l’on peut avoir sur l'îlot ou sur les lots qui vont être construits en mettant de la biodiversité en place, des ruches sur le toit, etc. C’est une bonne chose. Il faut toutefois aller plus loin. Là où je te rejoins, c'est que c’est le sens de l'histoire et ceux qui n'avanceront pas dans ce schéma auront du mal à récupérer le train en marche.

Eric : En parlant d'histoire, je crois qu'on a on a tous été marqués par les incendies de l’été 2022 en France. C’est d’ailleurs ce qui nous a amené, à l’époque, avec Sébastien, à nous rapprocher d’EcoTree. Tu indiquais récemment, dans un post Linkedin, que “seuls” 13 450 hectares de forêt avaient brûlé cette année en France ce qui représente une diminution de 79,8% par rapport à 2022. Ce qui est donc une bonne nouvelle. En revanche, on a pu constater dans l'actualité que des millions d'hectares avaient été dévastés au Canada et en Grèce notamment. Comment expliques-tu cette disparité avec la situation française ?

Benjamin : Il faut essayer de sortir de la vision, que nous avons en tant que français et que les allemands ont également, limitée à notre territoire national. J'ai fait ce post parce que le gouvernement se félicitait du faible nombre d'hectares qui avait brûlé en France. Il est vrai qu’il y a eu des choses qui ont été mises en place avec des vigiles, avec des équipes qui étaient beaucoup plus formées, avec une meilleure sensibilisation des particuliers sur les risques incendie, par exemple au travers de la météo des forêts. En revanche, au niveau international, l'été 2023 a été beaucoup plus dévastateur que l'été précédent et pourtant, nous en tant que Français, on a l'impression que cette année ça a été. Dans les faits, le volume en hectare qui a brûlé au niveau mondial est beaucoup plus important quand on voit le Canada qui a brûlé quasiment 6 mois, ou encore les incendies en Grèce ou l’Italie qui a été coupé en deux entre une fournaise au sud et des inondations et des cataclysmes météorologiques au nord. La situation se détériore au niveau mondial.

Sébastien : Tu fais bien de faire ce rappel.

Eric : Pour avoir un ordre d'idée, une forêt ça brule très vite mais ça met combien de temps à repousser ?

Benjamin : Comme le dit l’une des collaboratrices d’EcoTree, le meilleur moment pour planter un arbre, c'était il y a 30 ans et le deuxième c'est aujourd'hui. Cela donne une idée à peu près de l’écosystème. Il faut compter une cinquantaine d'années avant d'arriver à des écosystèmes qui soient les plus résiliant possible. Donc quand on parle de neutralité carbone horizon 2050, il est plus que temps d'agir aujourd'hui, il faut commencer maintenant à regénérer, à reconstituer des écosystèmes qui soient pérennes dans le temps pour pouvoir atteindre ses objectifs là.

Sébastien : J'ai vu que vous mettiez en place une école de formation. Peux-tu nous dire en quoi ça consiste et ce que vous proposez comme module de formation, à l'heure actuelle et peut-être demain ?

Benjamin : On a créé un module qui s'appelle EcoTree Académie qui a pour principal but d'accompagner les entreprises dans la sensibilisation des collaborateurs et des COMEX. Ca va passer par des fresques du climat, de la biodiversité, du carbone. On a également des formations dédiées aux collaborateurs dans lesquelles on est un peu plus centré sur leur activité quotidienne et pour lesquelles on va venir voir comment, au sein de l’entreprise, ils peuvent mettre en place des actions. On a également des formations qui sont accessibles, en ligne, pour les particuliers qui achètent des arbres. Il est possible de commander d’autres modules pour ceux qui souhaitent aller plus loin. Nous travaillons de plus en plus sur du conseil, dans l’esprit de ce que nous avons fait sur le Livre blanc, afin d’expliquer par exemple aux entreprises qui ont fait le Bilan Carbone, comment faire le step suivant. En fonction des actifs et des impacts qu’elles ont identifiés, nous leur expliquons les différents leviers qu’elles peuvent activer que ce soit sur du co-bénéfices de biodiversité, des co-bénéfices sur l'eau, des co-bénéfices sur les actions sociétales, sociales etc. On leur permet en fait de passer à l'étape suivante parce qu’aujourd'hui, beaucoup de gens ont envie d'agir mais sont perdus. Notre objectif est de venir vulgariser tout ça afin de leur permettre de passer à l'action.

Sébastien : Dans la continuité de ce que tu dis, j’ai vu que vous organisiez, le 24 octobre, un webinaire dont le thème est « Comment contribuer aux puits de carbone et à la biodiversité sans tomber dans le greenwashing ? » Il est vrai qu’en la matière il n’est pas facile de s’y retrouver, de savoir par où commencer et que le risque est d’être taxés notamment de greenwashing.

Benjamin : Dans l'investissement forestier, quand on le fait mal ou qu’on le fait pour les mauvaises raisons, on peut tomber dans le greenwashing. Chez EcoTree, on échange avec les entreprises pour leur demander si elles ont déjà mis en place des opérations d'évitement ou de réduction et les accompagner sur la partie contribution. Notre académie nous permet de conseiller de manière très pragmatique et très simple. Quelqu'un qui est un expert de son métier doit être capable de vulgariser son action et c'est ce qu'on essaie de faire s’agissant du carbone. Par exemple, tout le monde n'a pas conscience qu'il faut avoir un impact sur la biodiversité alors qu’aujourd'hui on est clairement dans une extinction de masse et c'est quelque chose qui impacte l'économie parce que je crois que 57% du PIB mondial dépend de la biodiversité. Si demain on laisse la biodiversité disparaître, il y aura des effets sur l'espèce humaine et sur l'économie.

Eric : Merci beaucoup Benjamin pour cet échange. J'ai trouvé ça extrêmement riche, on aurait encore plein de choses à se dire mais je pense qu'il faut clôturer.

Sébastien : Nous te remercions d’avoir été aujourd’hui avec nous et d’avoir accepté d'essuyer les plâtres de ce nouveau format que l’on envisage de développer et qui, je l’espère, plaira à nos lecteurs. Je trouve que tu as ce talent pour pouvoir vulgariser et expliquer de manière assez simple des problématiques qui ne sont qui ne le sont pas forcément donc en tout cas, merci encore de t'être rendu disponible.

Benjamin : Merci à vous. C’était très sympathique. J’espère également que ça plaira à tout le monde.