Damien RICHARD, Avocat associé au sein du cabinet RACINE

Dans le cadre de cette interview, vous allez faire la connaissance de Damien Richard, avocat associé du cabinet Racine à Lyon, qui vous présentera son activité et celle de son cabinet.

INTERVIEW

11/13/202312 min read

[UM] : Bonjour Damien, nous te remercions de participer à cette interview qui sera publiée dans la prochaine édition de notre newsletter (Un)Mute. Pour commencer, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ainsi que sur le cabinet dans lequel tu interviens.

Damien : Avec plaisir, je vais commencer par le cabinet Racine. C'est un cabinet qui est vieux d'un peu plus de 40 ans, puisqu’il a été créé en 1981, et qui couvre l’ensemble du territoire national. Nous sommes implantés à Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes, Marseille, Strasbourg. Nous avons également à une antenne à Bruxelles. L’idée est de couvrir tous les aspects du droit des affaires et ce, au sens très large, tant en conseil, qu’en contentieux, avec une approche la plus opérationnelle et transversale possible. A ce titre, nous nous démarquons peut-être un peu des cabinets anglo-saxons plus strictement orientés autour du conseil. En ce qui me concerne, je suis avocat en droit public depuis plus de 20 ans et j'exerce dans ce cabinet depuis une quinzaine d’années. Ma formation initiale c'est le droit public et puis petit à petit, au fur et à mesure des dossiers, des clients et des rencontres, j’ai dérivé ou enrichi mon domaine d'activité dans le cadre de l'immobilier sur des projets d'aménagement, sur des projets de développement de la ville. A ce titre, mon positionnement me conduit à intervenir quasi systématiquement côté promoteur, aménageur et collectivités publiques. En revanche, je n’interviens jamais dans le contentieux contre les projets initiés.

[UM] : Tu ne représentes donc pas de particulier ou alors de manière très exceptionnelle ?

Damien : C’est très exceptionnel et en tout cas jamais dans le cadre d’un contentieux dirigé contre un projet développé par l’un des acteurs que je viens de citer. J’ai en quelque sorte choisi mon camp 😊.

[UM] : Dans le cadre de notre dernière édition, nous avons proposé à nos lecteurs une feuille volante dédiée au certificat d’urbanisme. Je pense que la majeure partie de nos lecteurs savent de quoi il s’agit. Toutefois, on se pose souvent la question de son utilité. Ce que je constate en pratique, c'est qu’il s’agit d’un outil qui est très peu utilisé alors qu'il présente, en tout cas sur le papier, quand même beaucoup d'intérêt. Quel est ton avis sur le sujet ?

Damien : Je partage complètement ton avis, c'est un outil qui est trop peu utilisé alors que pour ma part, je continue à conseiller de l'utiliser systématiquement. Il faut rappeler qu’un certificat d'urbanisme garantit – sauf exception - l'application du droit de l'urbanisme pendant 18 mois. A mon sens, on a donc tout intérêt à déposer une demande de certificat d'urbanisme au démarrage du projet pour figer à notre profit la règle d'urbanisme pendant cette période, qui est le temps de développement du programme immobilier. C’est d'autant plus nécessaire aujourd’hui compte tenu de l'instabilité des règles d'urbanisme. Actuellement, on a des modifications perpétuelles, il est difficile pour un acteur de l'immobilier d'anticiper ce qui va se passer. Donc là, nous créons un filet de sécurité puis on travaille dans ce filet de sécurité pendant 18 mois. La seule exception, c'est quand on veut passer sous les radars de la collectivité, c'est à dire qu'on veut maturer le projet sans que la collectivité nous identifie. Dans ce cas-là, on va différer un peu le dépôt du CU mais sinon c'est un outil très utile.

[UM] : Il existe deux types de certificat. Tu conseilles d’opter pour le CU simple ou le CU opérationnel ?

Damien : Plutôt pour le certificat d'urbanisme simple. Celui-ci permet en effet de figer les règles, même s’il est vrai que contrairement au CU opérationnel il ne permet pas de pré valider la volumétrie et la destination du projet. Le CU simple est extrêmement rapide à obtenir. Tout est numérique auprès de la collectivité locale donc ça va assez vite. Le certificat d'urbanisme opérationnel ajoute à cela la volumétrie, l'implantation approximative du bâtiment et la destination. Il permet aussi de valider la suffisance des réseaux. Il suppose donc une instruction, ce qui explique qu’il soit plus long à obtenir (2 mois). À mon avis, il est un peu moins utile dans les cas habituels parce que l'idée c'est d’abord de se protéger contre les modifications défavorables de la règle. En revanche, il est utile quand on a un vrai sujet de destination du projet. Qu’est-ce qu’une maison médicale ?Un équipement d’intérêt général ou des bureaux, ou encore des activités de service accueillants des clients ou des patients ? Il faudra là ici une pré validation de la collectivité et le CU opérationnel à son sens.

[UM] : Tu as dispensé il y a quelques mois une formation que j'ai trouvé extrêmement intéressante qui était dédiée aux évaluations environnementales et à l'occasion de laquelle tu as notamment évoqué la procédure dite de la « clause filet ». En pratique, je constate que c'est un sujet qui inquiète énormément les opérateurs immobiliers. Quels conseils donnerais-tu sur le sujet à nos lecteurs ?

Damien : Ça rejoint en fait la préoccupation relative à l'environnement et son imbrication dans le droit de l'urbanisme. Derrière moi, il y a mes deux livres de chevet :le code de l'urbanisme et le code de l'environnement. Ils ne font presque plus qu'un finalement… Mon conseil c'est évidemment d'essayer d'anticiper au maximum la préoccupation environnementale dans l'acte de construire, c'est à dire connaître le terrain, connaître sa sensibilité, identifier les problématiques relatives à l’eau, aux espèces protégées, à la pollution de l'air, parce c’est ce défaut e prise en compte qui fait naitre le décret qui a instauré la « clause filet ». Il s’agit d’un décret qui permet à la collectivité de soumettre ou du moins d'interroger l'autorité environnementale sur une éventuelle étude d'impact alors qu'on est en dessous des seuils définis par la nomenclature. Il est utilisé notamment quand la collectivité a peur d'un recours, c’est-à-dire lorsqu’elle constate que le projet qui lui est soumis se situe en dessous des seuils définis par la nomenclature, mais qu’une association va venir reprocher le fait que le projet envisagé ne prend pas suffisamment en compte l'environnement du site et sa sensibilité. Donc la meilleure façon selon moi de s'en prémunir, c'est de faire le travail en amont, c'est à dire de faire un diagnostic environnemental. Il ne faut surtout pas se voiler la face. Quand il y a un sujet environnemental, il est impératif de le traiter le plus en amont possible. Que l’on développe un projet qui fasse 9 500 m² de SDP ou 10 500 cela ne présente pas une grande différence en définitive. Le seuil de 10 000 m² est un peu artificiel et c'est pour ça d'ailleurs que la clause filet a été instaurée. C'est parce que le droit européen nous a dit 9999 m² ou 10 001 m², c'est la même chose en terme d'impact environnemental.

[UM] : J'ai rencontré des professionnels qui étaient un peu perdus sur le sujet et qui avait décidé de se fixer un seuil, c'est à dire qu'à partir de 7500 m² par exemple, ils s'inscrivaient systématiquement dans une demande « au cas par cas ». Or, ce que je comprends c'est que cela n'a pas vraiment de sens. C'est plus la connaissance du site, de l'environnement et des risques environnementaux qui sont associés qui est important, c'est-à-dire qu’on peut développer un projet qui fait 1000 m², mais être à proximité immédiate d'un site sensible et au final pouvoir tomber dans ce mécanisme

Damien : Oui, moi je ne substituerai pas un autre seuil, au seuil des 10 000 m². Je ne pense pas que ça soit le sens de cette norme. Le bon réflexe consiste plutôt à se demander, quel que soit la taille de mon projet, si celui-ci est susceptible d’avoir un impact important sur l'environnement et si oui comment je le gère pour suivre la séquence « Evitement, Réduction, Compensation » du droit de l'environnement. Il est vrai que si tu développes un projet de 500 m², il y a assez peu de chance qu'il ait un impact environnemental significatif. Toutefois, si tu développes une installation vraiment sensible pour l'environnement et ce quel que soit sa taille, au milieu de la plaine de la Crau par exemple ou dans une zone de montagne avec une sensibilité environnementale très forte, la question doit se poser. Elle est en tout état de cause importante car si ce n'est pas la clause filet, la question de l’impact sur l’environnement se posera très certainement dans le cadre d’un contentieux potentiel engagé contre le permis obtenu ou, sans parler de contentieux, dans le cadre de la relation avec la collectivité et la relation politique dans l'acte de construire.

[UM] : Tu parlais à l'instant du risque d'annulation de permis. J'aimerais évoquer le risque de refus. On a actuellement le sentiment que les professionnels de l'immobilier souhaitent s’attaquer aux refus de permis de construire. Est-ce que c'est véritablement un enjeu ?

Damien : Oui, c'est vraiment un des enjeux fondamentaux du moment. Pas exclusivement le contentieux contre le refus de permis de construire, mais plutôt le refus de permis de construire dans son ensemble, avec, depuis quelques années, une forme de renversement de la pratique normale. Il faut rappeler que le droit de construire est un accessoire du droit de propriété. Le droit de l’urbanisme est quant à lui un droit de police. Il vient définir ce que vous n’avez pas le droit de faire.

Remarque : C'est ce qui rend d’ailleurs très difficile la rédaction d'un PLU car écrire un projet de territoire en ne faisant que des interdictions c'est quand même particulièrement complexe.

En pratique, on constate une inversion de la règle. Vous allez avoir le droit de construire si l’élu considère que votre projet correspond à sa vision de la ville du moment et non parce qu’il est conforme au PLU applicable ! Intellectuellement je comprends complètement que d’un point de vue politique des élus puissent refuser de délivrer un permis de construire qui porte sur un projet qui ne correspond pas la ville dont ils ont envi. En revanche, juridiquement, ça me pose un énorme problème. La règle est en effet qu’un permis de construire doit être délivré dès lors qu’il est conforme au PLU. Et pour le coup, c'est une vraie préoccupation parce que de nombreux élus ont été élus contre certains projets urbains passés, contre la vision de la ville portée par leurs prédécesseurs. Aujourd’hui donc, ils changent les règles du jeu puisqu’ils ne délivrent le permis que s’ils adhèrent au projet final en fonction de leur propre préoccupation politique. Face à cette pression politique, Il est parfois possible de trouver un chemin intermédiaire et de faire évoluer le projet de manière à obtenir le droit de construire. Dans d’autres cas, cela ne sera pas possible et l’opérateur n’aura alors que deux solutions : soit renoncer au projet, soit forcer l'application de la règle de droit en contestant ce refus. Il est alors nécessaire de saisir le juge en arguant du fait que ce refus est illégal et que nous avions le droit de construire. Hélas, ce n’est pas du tout un phénomène anecdotique. On a actuellement au cabinet Racine à peu près 10 permis de construire par an qui sont délivrés par le tribunal.

[UM] : Cela me semble effectivement relativement important.

Damien : Je trouve que c'est énorme. C'est symptomatique d'un vrai désordre juridique.

[UM] : Est-ce que tu en avais autant ces dernières années où est-ce que c'est un phénomène nouveau ?

Damien : C'est un phénomène complètement nouveau. Cela fait 20 ans ou 21 ans que j'exerce. Je pense que sur les 15 premières années, je n’ai pas vu un seul recours contre un refus de permis de construire. C'était inenvisageable. Un promoteur immobilier n'allait jamais contester un refus de permis de construire car il avait l'impression d’obérer toutes ses capacités de construire sur le secteur. Depuis 4 ou 5 ans on en a de plus en plus. Je pense que ça tient à deux choses. Ça tient d'abord au fait qu’un certain nombre de collectivités, pour des raisons qui peuvent se discuter intellectuellement, décident de ne pas appliquer la règle parce qu'elle ne leur convient pas. Et aussi parce que certains élus considèrent qu’ils ont été élus pour ne pas délivrer de permis. Ils refusent donc le permis, tout en indiquant que si ce refus est attaqué et que le tribunal lui ordonne de le délivrer, ils le délivreront. Ce n’est pas complètement anecdotique comme situation et dans cette dernière hypothèse, le promoteur se sent quand même plus à l'aise pour aller contester le refus.

[UM] : Je vois ce que tu veux dire…

Damien : Pour terminer là-dessus, cette situation est d’autant plus complexe que nous sommes dans une période de pénurie de logements et d'augmentation des coûts. Or, outre le temps passé pour obtenir le permis de construire, ce phénomène coûte une fortune à tout le monde avec de multiples reprises d’études, des renégociations foncières ….

[UM] : D'ailleurs un recours sur un refus peut prendre combien de temps ?

Damien : Jusqu'à peu un recours contentieux devant le tribunal administratif durait 16 à 18 mois. A présent, ça suit le même régime que le recours contre un permis de construire. Donc quand c'est du logement et en zone tendue, c'est 10 mois. Il s’agit d’un délai défini par les textes, mais qui n’est pas sanctionné. Pour autant, nous constatons en pratique que les juridictions administratives respectent bien ce délai. A l’heure actuelle, je pense d’ailleurs qu'on est plutôt entre 8 et 9 mois devant les tribunaux administratifs de Lyon, Marseille, Montpellier, Bordeaux ou Rennes. Nous intervenons sur l’ensemble du territoire et nous constatons que les délais sont à peu près équivalents partout.

[UM] : Tu interviens pour le compte de tes clients sur énormément de projets, notamment des projets complexes, et ce tout au long de leur développement et de leur réalisation. Pour toi, quelle est la recette d'une opération immobilière réussie ?

Damien : Si j'avais la recette d'un projet immobilier réussie, ça serait formidable ! Plus sérieusement, la réponse à cette question n’est pas simple. Elle est toutefois extrêmement intéressante et on ne se la pose sans doute pas assez souvent. D'abord parce qu'elle est compliquée. Or, on a tendance à éviter les questions compliquées. Ensuite, parce que dans un projet immobilier, il y a une espèce de frénésie. On développe un projet sur plusieurs années quand il est complexe. J'ai eu la chance de participer à plusieurs projets complexes. Or il s’agit de projets qui ont des temps de maturation, de développement de 5, 6, 7, 8 ans pour certains d’entre eux, avec des phases d'ultra accélération. On se pose rarement cette question à la fin du projet ou à la fin d'un vrai coup d'accélération. Quel est finalement le facteur de succès, la clé qui nous a permis de débloquer… ? On devrait se poser cette question plus souvent pour éviter de répéter les erreurs. Pour moi, un des éléments de succès d'un projet, notamment d'un projet complexe, c'est d'arriver à concilier ce temps long et ces temps très courts. Et pour ça il me semble qu'il faut arriver à fédérer les 4, 5 ou 6 acteurs clés du projet immobilier. Les projets que j'ai vu réussir, c'est à dire des projets dans lesquels tous les aléas ont pu être maîtrisés, ce sont des projets dans lesquels les équipes fonctionnent de manière fluide, unie et coordonnée, dans lesquels on a autour de la même table le prospecteur foncier, le développeur commercial, l'architecte, les juristes… qui travaillent vraiment en coordination. S’agissant plus particulièrement du volet juridique, il est essentiel que les notaires, avocats, géomètre, etc. travaillent en coordination afin d’adopter une vision « temps long », tout en ayant la capacité de gérer l’ensemble des aléas plus ponctuels qui surviennent généralement de manière précipitée ou désordonnée. Pour résumer, la vraie clé du succès, c'est d'arriver à fédérer une équipe qui va être capable de donner le temps long et de gérer le temps court.

[UM] : Tu n’es pas le premier à me dire ça. François PICHON, Géomètre Expert que nous avions interviewé dans le cadre de notre première édition avait tenu un discours assez similaire au tiens.

Damien : Je dis très souvent que le droit, pour ce qui me concerne, c'est un outil. On ne fait pas une ville avec une règle de droit, d’autant que comme je l’ai dit tout à l'heure le droit de l’urbanisme consiste surtout en des interdictions. Or, on ne fait sûrement pas une ville avec des interdictions. Du coup, pour un juriste, un projet réussi est un projet où il n’est pas tout seul, où il ne travaille pas seul dans son coin mais bien en synergie avec les opérationnels. C'est vraiment essentiel.

[UM] : Merci beaucoup pour cette interview. J'ai trouvé cet cet échange extrêmement enrichissant mais comme chacun de nos échanges d'ailleurs…