François PICHON, Géomètre-Expert

Interview de François PICHON, Géomètre-Expert, MRICS Ingénieur diplômé de l’ESGT Gérant associé - Au Cabinet depuis 2005

INTERVIEW

2/13/20239 min read

Comme chaque mois, retrouvez ici notre interview d’un professionnel de l’immobilier qui nous partage son actualité, son avis sur la conjoncture actuelle et nous en dit un peu plus sur lui.

Cette semaine, nous avons eu le plaisir d’accueillir François PICHON, Gérant du cabinet de Géomètres Experts OPERANDI.

Nous espérons que cette interview vous plaira autant que nous avons eu de plaisir à la mener.

Et rappelez-vous, “nous sommes la moyenne des 5 personnes que nous côtoyons le plus” (Jim Rohn) 🤝🦾.

UM : Bonjour François, nous sommes ravis que vous ayez accepté d’être le deuxième invité de notre série d’interview d’autant que plusieurs de nos lecteurs nous ont fait part de leur intérêt pour votre profession. Pour commencer, pourriez-vous nous dire, pour ceux qui ne vous connaitraient pas, ce que vous faîte exactement ?

François PICHON : Merci pour votre invitation. La profession du géomètre-expert est l’un des plus vieux métiers du monde. On en connait d’autres… mais c'est une réalité.

Les Égyptiens, il y a 5000 ans environ, avaient déjà des géomètres. En effet, chaque année, au printemps, suite aux crues répétées du Nil engendrées par la fonte des neiges, les limites bien marquées des champs disparaissaient. Aussi, afin d’apaiser les différends qui opposaient les paysans, il était fait appel à des « arpenteurs » afin de redélimiter leurs parcelles respectives.

Par ailleurs, Platon avait inscrit au-dessus de l'entrée de l’Académie à Athènes « Que nul n'entre ici s’il n’est géomètre ». Bien évidemment, cette phrase s’inscrivait dans une dimension philosophique, mais il s’agit d’une anecdote très connue au sein de notre profession.

Tout ceci pour dire qu’il y a eu besoin de géomètres, des topographes, géographes, etc. très tôt au sein de la société, car très tôt, il a fallu organiser la propriété, la diviser et la délimiter.

Pour autant, l’ordre des géomètres experts n'a été créé que très récemment. Ce n’est en effet qu’en 1946 que l'État a donné à cette profession une délégation de service public portant sur la délimitation de la propriété foncière.

La profession dispose donc d’un monopole pour dresser les plans et les documents topographiques qui délimitent les propriétés foncières. À ce titre, il joue un rôle essentiel dans le respect de la propriété et des biens fonciers.

Pour autant, les prérogatives confiées aux géomètres experts sont pendant longtemps restées assez floues en matière de copropriété. Ce n’est en effet que le 29 juin 2022, que la Cour de cassation a considéré que seuls les géomètres experts disposaient d’un monopole pour l’établissement des plans de copropriétés et uniquement en ce qui concerne les bâtiments existants. Lorsqu’on est dans le cadre d’une VEFA, la situation est en revanche différente puisque le bâtiment n'est pas construit. Il n'y a donc rien à mesurer. On est sur une conception architecturale du projet.

En plus des activités réservées par la loi, le géomètre-expert assure des missions de conseil et d’accompagnement auprès de ses clients : accompagnement dans la détermination des possibilités de constructions attachées à un terrain, dans la réalisation de démarches administratives (solliciter un certificat d’urbanisme pour une construction, constituer un dossier de demande de permis d’aménager,.), etc.

UM : Pouvez-vous nous présenter la structure que vous dirigez ?

François PICHON : Notre cabinet a été créé en 1946. Il s’agit d’une structure moyenne pour laquelle l’équipe est composée d’une petite trentaine de personnes. J'ai deux jeunes associés, tous les deux ingénieurs ESTP. Il s’agit d’une structure dans laquelle nous avons une dizaine d'ingénieurs, ainsi qu’une dizaine de techniciens supérieurs. Enfin, le reste de l’équipe est composé de personnes ayant des parcours très différents. Parmi eux, certains sont uniquement titulaires d’un CAP et sont devenus cadres car ils disposaient d’importantes qualités humaines et d'investissement.

Notre cabinet a une activité qui est tournée vers tout ce qui touche à « l’immobilier urbain ». Depuis quelques années notre clientèle est composée à 88% de professionnels. Nous avons en revanche assez peu de clients particuliers, ce qui est un peu exceptionnel dans notre profession. Généralement, la clientèle d’un cabinet des géomètres experts est plutôt composée d’un tiers de particuliers, d’un tiers de collectivités et d’un tiers de professionnels. Nous avons une très grosse activité en tertiaire, qui est d’ailleurs à l’heure actuelle renforcée en raison des impératifs que les investisseurs ont en terme d'isolation thermique et de performance énergétique. Par ailleurs, si pendant longtemps les opérateurs immobiliers nous missionnaient afin d’établir de « simples » plans topographiques, car ils avaient le plus souvent pour volonté de procéder à la démolition de bâtiments existants afin de reconstruire un nouveau bâtiment, on constate aujourd’hui une évolution des mentalités. Lorsque cela est techniquement et économiquement possible, les bâtiments sont à présent restructurés en vue de leur offrir une seconde vie. Il en résulte, s’agissant des bâtiments tertiaires, qu’on nous sollicite à présent sur la réalisation de plans beaucoup plus complets (niveaux, coupes, façades), mais aussi pour la réalisation de maquettes numériques type « BIM », de l’existant. Nous travaillons sur ces projets en transversale avec les architectes et les bureaux d’études intervenant sur ces opérations. Le échanges que nous avons avec ces derniers sont véritablement passionnants. En complément, nous avons d’ailleurs intégré un architecte en interne afin de nous accompagner sur ces projets de maquettes numériques.

UM : Au-delà de votre activité « traditionnelle », vous avez développés au fil des années une expertise particulière en matière de division en volumes. Pourriez-vous en nous en dire plus ?

François PICHON : Cette technique résulte de la nécessité qu’il y a eu de pouvoir gérer la propriété lorsqu'elle s’inscrit dans le cadre d’une « imbrication verticale ». Pendant longtemps, les personnes qui étaient propriétaires de terrains faisaient construire des immeubles sur ceux-ci et les mettaient en location. C'est quelque chose qui a progressivement évolué. Il faudra toutefois attendre le Code civil créé en 1804 afin que soit mis en place un début de mécanisme permettant de gérer l’imbrication verticale de la propriété. L’article 664 du Code Napoléon mentionnait ainsi, pour la première fois, le fait qu’il était possible d’avoir plusieurs propriétaires d’un même bien immobilier.

Ce n’est qu’au début du 20ème siècle que la demande de mise en place de propriétés en imbrication verticale s’est développée. La loi du 28 juin 1938 a été le tout premier mécanisme destiné à organiser cette propriété en imbrication verticale. Ce texte était toutefois très incomplet. Après la seconde guerre mondiale, il y a eu un boom extraordinaire de constructions, si bien qu’il s’est avéré nécessaire d’adopter une nouvelle loi d’ordre public, c’est-à-dire qui s’imposait à tous. Il s’agit de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, qui a depuis connu de nombreuses évolutions mais qui reste d’actualité.

Très peu de temps après cette loi, l’opération emblématique de la Défense a été développée. Dans le cadre de cette opération, les juristes, notaires, géomètres-experts se sont trouvés confrontés à une situation d'imbrication verticale compliquée, c'est-à-dire qu'il y avait à la fois des lignes SNCF, RER, des voies d’autoroutes, des routes départementales, des routes municipales, des locaux techniques communs, un parvis et des constructions privées (bureaux, logements, centre commercial), le tout en imbrication verticale. On s’est alors rendu compte que le statut de la copropriété n’était parfaitement adapté à ce type d’imbrication.

C’est à cette occasion que Maître THIBIERGE, Notaire, et Monsieur CUMENGE, Directeur Juridique de l'Etablissement Public Aménagement de la Défense, ont développé la technique de la division en volumes. Ce mécanisme qui repose sur certaines dispositions du Code civil[1] n’est pas du tout encadrée par la loi. Elle a toutefois été consacrée par la suite par la Jurisprudence. Certains diront que c'est un espace de liberté, mais c'est aussi une difficulté car celle-ci s’inscrit principalement dans un cadre purement contractuel. Or, comme vous le savez lorsque l’on s’inscrit dans un tel cadre on fige les choses de manière quasi définitive, puisque pour les modifier par la suite il est nécessaire d’obtenir l’accord unanime des parties prenantes, ce qui est parfois difficile à obtenir lorsque celles-ci sont relativement nombreuses.

Pour faire simple, la division en volumes se différencie de la division en copropriété principalement par deux aspects :

· Le statut de la copropriété est encadré par la loi, ce qui n’est pas le cas de la division en volumes ;

· Par ailleurs, d’un point de vue juridique, en matière de copropriété il existe des parties communes, alors qu’en matière de division en volumes, il n’y a que des parties privatives. C’est même l’absence de parties communes qui caractérise le fait que l’on puisse recourir au mécanisme de la division en volumes.

Enfin, l’Ordonnance du 30 octobre 2019, prise en application la loi ELAN du 23 novembre 2018 est venue modifier l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, de sorte qu’à présent, dès lors que nous sommes en matière d’habitation le recours au statut de la copropriété s’impose. En revanche, en matière de tertiaires, de commerces, etc. on peut envisager la mise en place d’un régime dérogatoire à condition toutefois de mettre en place un organe de gestion ayant la personnalité morale (ASL ou AFUL), un cahier des charges avec servitudes le plus complet possible, etc. A ce titre, je déconseille assez fréquemment à mes clients de faire des divisions en volumes car parfois il n’est pas dans leur intérêt de monter des « usines à gaz » qui sont inutiles. J’incite d’ailleurs mes clients, bailleurs sociaux et promoteurs, à ne pas faire de divisions en volumes pour séparer des commerces en rez-de-chaussée, de logements qui sont au-dessus. Dans de nombreux cas de figure, je leur recommande de s’inscrire dans le cadre du statut de la copropriété qui évolue en permanence en fonction des attentes de la société, plutôt que dans le cadre purement conventionnel de la volumétrie qui ne saura pas évoluer dans le temps ou du moins très mal. En revanche, le recours à la division en volumes pourra parfaitement se justifier lorsqu’il y a de la domanialité publique car dans une telle hypothèse il n’y a pas d’autres choix ou encore lorsqu’on est en face d’un ensemble immobilier complexe hétérogène et qu’on a du mal à organiser autrement.

UM : Auriez-vous des conseils à donner à nos lecteurs avant de démarrer un projet immobilier et notamment quand est-ce que vous leur recommanderiez de faire appel à un géomètre-expert et surtout pourquoi ?

François PICHON : Je leur recommanderais de faire appel à un géomètre-expert le plus tôt possible car celui-ci pourra leur donner des informations relatives au foncier et à l’urbanisme. De plus je pense opportun, dans le cadre de projets urbains complexes, de pouvoir intervenir dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires (Notaire, avocat, géomètre-expert). Les opérateurs ont d’autant plus intérêt à nous faire intervenir le plus tôt possible, car ils vont pouvoir bénéficier de conseils gratuits au départ, sous réserve bien sûr qu’ils nous fassent intervenir par la suite. Cela permet également d’échanger de manière constructive très tôt avec nos clients, leur notaire qui est spécialiste du droit des contrats et le cas échéant leur avocat qui est spécialiste du droit public et de l’urbanisme, de manière à anticiper les difficultés. Le géomètre-expert peut quant à lui apporter son approche pratique. Il dispose à la fois de compétences techniques, mais aussi de compétences juridiques (droit civil, droit de la division) qui sont complémentaires à celles qu’apportent notaire et avocat.

UM : Quelle est l’opération la plus marquante sur laquelle vous ayez eu à intervenir ?

François PICHON : J’en donnerai deux qui sont d’ailleurs très différentes. Tout d’abord, le Grand Hôtel-Dieu de Lyon car cela a été pour moi un chantier important, sur lequel j’ai énormément apprécié de travailler. Entre le premier état des lieux et le modificatif final de la division en volumes, il s’est passé une dizaine d’années. C’était un dossier très technique et très juridique. La deuxième opération emblématique qui m’a passionnée et sur laquelle j’ai également travaillé pendant près de dix ans, est le pôle d’échange multimodal de la Part-Dieu à Lyon qui, d’un point de vue foncier, a été l’opération la plus compliquée sur laquelle je suis intervenu. C’est un projet qui s’étend sur 2 hectares. Pour l’anecdote, il y avait à l’origine déjà 11 divisions en volumes qui préexistaient sur le foncier du pôle d’échange. Or quand vous construisez un objet qui n’a rien à voir, c’est très compliqué à gérer.

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Pour plus d’informations sur l’accompagnement que peut vous apporter un géomètre-expert, nous vous invitons à consulter le site de l’ordre de cette profession à l’adresse suivante : https://www.geometre-expert.fr/nous-connaitre/la-profession/