La conclusion d'une VEFA au profit des Organismes de Logement Social (OLS)

Tous les mois, nous vous proposons de décortiquez une nouvelle aventure immobilière d'Antoine, notre personnage fictif, à l'occasion d'un échange avec Eric et Sébastien, cofondateurs d'UrbanSolutions et de la newsletter (Un)Mute

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Eric Arnaud

3/4/20246 min read

Comme vous vous en doutez, je voulais vous voir car j’ai peut-être trouvé une solution de sortie pour mon opération de logements sur FIDIACE. Je suis entré en relation avec Fidiace Habitat, qui est une SA d’HLM… Ils seraient prêts à acquérir mon programme de logements dans le cadre d’une VEFA.

Je vous avoue toutefois que je suis un peu surpris par cette proposition car je crois me souvenir que les bailleurs sociaux sont soumis au Code de la Commande Publique (CCP), non ?

[UM] : Tu as tout à fait raison. Comme le prévoient respectivement les articles R. 433-1, L. 433-1 et L. 481-4 du Code de la construction et de l'habitation (CCH), les marchés des offices publics de l'habitat (OPH), des organismes privés de HLM et des SEM exerçant une activité de construction ou de gestion de logements sociaux sont effectivement soumis au CCP.

Il en résulte donc que si les organismes privés d'HLM (et les SEM dans ce secteur) sont des personnes morales de droit privé, leurs marchés sont soumis aux règles définies par le CCP.

[Antoine] : Zut… cela signifie donc que je ne vais pas pouvoir leur vendre mon programme.

[UM] : Et bien si, en dépit de ce qui précède, la conclusion d’une VEFA devrait bien être possible.

A ce titre, l’article L. 433-2 du Code de la Construction et de l’Habitation dispose que :

“Un organisme d'habitations à loyer modéré mentionné à l'article L. 411-2 ou une société d'économie mixte peut, dans le cadre de l'article 1601-3 du code civil ou des articles L. 262-1 à L. 262-11 du présent code, acquérir :

― des immeubles ayant les caractéristiques de logement-foyer mentionné à l'article L. 633-1 ou de résidence hôtelière à vocation sociale mentionnée à l'article L. 631-11 ;

― des ouvrages de bâtiment auprès d'un autre organisme d'habitations à loyer modéré ou d'une autre société d'économie mixte ;

― des logements inclus dans un programme de construction, à la condition que celui-ci ait été établi par un tiers et que les demandes de permis de construire aient déjà été déposées.

(…).”

En l’espèce, c’est plus particulièrement le 3ème tiret qui va retenir notre attention.

Comme tu le peux constater, cette disposition subordonne cette faculté à certaines conditions et notamment au fait que le vendeur (toi en l’occurrence) ait procédé au dépôt de la demande de permis de construire avant toute contractualisation.

[Antoine] : Pour quelle raison ?

[UM] : Il s’agit du mode opératoire qui a été retenu par le législateur afin d’éviter que le bailleur social exerce une influence déterminante sur le programme et ainsi éviter tout risque de requalification de la VEFA en contrat de la commande publique… L’idée sous jacente est que ce type de VEFA soit assimilable à ce que l’on appelle une “VEFA d’opportunité”.

Comme tu le sais peut-être, le Code de la commande publique dispose dans son article L.1111-2 que :

“Un marché de travaux a pour objet :

2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception.

C’est précisément l’exercice d’une telle influence que le CCH vise à écarter en introduisant ce mécanisme.

[Antoine] : Et ça se passe vraiment comme ça en pratique ? S’il n’y a pas contractualisation, il doit nécessairement y avoir des échanges entre le vendeur et le bailleur social afin que le projet et donc le permis de construire répondent aux attentes de ce dernier…

[UM] : Joker !!! Dans les faits, ce mécanisme n’est pas sans poser quelques difficultés pratiques. Il est en effet courant de constater que des discussions sont engagées entre le promoteur et le bailleur social avant même le dépôt de la demande de permis de construire, afin de permettre à ce dernier d’avoir la garantie d’acquérir des logements qui soient conformes à ses besoins.

[Antoine] : Le texte précise également que les logements vendus au profit du bailleur social doivent être “inclus dans un programme de construction”… Est-ce que cela signifie qu’il n’est pas possible de vendre l’ensemble des logements à ce bailleur ?

[UM] : Cette une très bonne question. Aujourd’hui, il est admis, aux vues notamment des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de cette disposition, que celle-ci n’interdit pas que la VEFA porte sur la totalité du programme de logements.

A ce titre, à la suite d’une question posée par un Sénateur, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement est venu répondre dans une réponse publiée le 25/05/2023 au JO du Sénat ce qui suit :

“(…) L'exigence de logements « inclus dans un programme de construction » n'emporte pas l'interdiction de l'acquisition par VEFA de la totalité d'un programme. Il ressort des discussions parlementaires sur la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion que la rédaction retenue visait précisément à « supprimer toute référence à une condition de surface pour autoriser les acquisitions en VEFA de logements inclus dans un programme de construction » (Rapport n° 8 - 2008-2019 du rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat sur le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion). Ainsi, sous réserve que les organismes HLM ou les SEM de construction et de gestion de logements sociaux se saisissent effectivement d'une opportunité immobilière et n'exercent pas une influence déterminante sur les caractéristiques des ouvrages, il leur est possible d'acquérir la totalité d'un programme de logements par VEFA. (…)”

[Antoine] : Je suis surpris que cette “dérogation” au droit de la commande publique figure, non pas dans le Code de la commande publique, mais dans le CCH.

[UM] : Bravo Antoine, tu commences à avoir de véritables réflexes de juriste 😉 ! C’est en effet l’un des points faibles du dispositif…

[Antoine] : Nous avons jusqu’à présent évoqué la compatibilité de ce dispositif avec les règles de la commande publique. Mais qu’en est il de sa compatibilité avec la loi MOP ?

[UM] : Là encore, c’est une très bonne question. Comme tu le sais, la loi MOP est aujourd’hui codifiée aux articles L.2410-1 à L.2432-2 du Code de la commande publique.

Les organismes privés d'habitations à loyer modéré, mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les sociétés d'économie mixte, pour les logements à usage locatif aidés par l'Etat et réalisés par ces organismes et sociétés sont expressément soumis à ces dispositions2.

Toutefois, cette question a été tranchée par la jurisprudence administrative il y a maintenant quelques années.

Ainsi, à l’occasion du célèbre arrêt “Région Midi-Pyrénées”, le Conseil d’état est venu préciser que :

« Si aucune disposition législative n’interdit aux collectivités publiques de procéder à l’acquisition de biens immobiliers au moyen de contrats de vente en l’état futur d’achèvement, elles ne sauraient recourir à de tels contrats lorsque l’objet de l’opération consiste en la construction même d’un immeuble pour le compte de la collectivité publique, lorsque l’immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et lorsqu’il a été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique ».

Cela signifie que le recours à la VEFA est proscrit si les conditions suivantes sont réunies :

  • l’objet de l’opération vise à la construction même d’un immeuble pour le compte de la collectivité publique,

  • l’immeuble est entièrement destiné à devenir la propriété de la personne publique

  • l’immeuble a été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique. 

Le Conseil d’État, dans un avis du 31 janvier 1995, est par la suite venu préciser que ces conditions (d’illégalité) doivent jouer de façon cumulativeSi l’une d’entre-elles n’est pas remplie, le recours à la VEFA est donc possible.

Or, en l’occurrence ton programme avait été initialement conçu comme un programme de logements libres, destiné à être vendu à la découpe. Tu ne l’as pas conçu spécifiquement pour Fidiace Habitat. D’ailleurs, tu as déjà obtenu ton permis de construire. Il n’y a donc selon nous pas de difficultés.

[Antoine] : Merci beaucoup (Un)Mute. C’était, comme d’habitude, très clair et cela me servira pour la suite.

[UM] : De rien ! Et n’oublie pas que ta VEFA sera soumise aux règles d’ordre public du secteur protégé, ce qui aura notamment un impact sur ton échéancier de paiement, mais ceci est une autre histoire…

Quoi qu’il en soit, tu en sais désormais plus sur la VEFA à bailleur social et sa potentielle utilisation dans ton utilisation de FIDIACE.