La dissolution de l’Assemblée Nationale : un coup de frein pour le logement ?

Au programme de ce nouvel article, nous allons prendre le prétexte de la dissolution de l’assemblée nationale pour évoquer un sujet qui “sent la poudre”, la nécessité ou non pour le marché de l’immobilier d’une intervention de l’Etat au travers d’un grand plan de secours.

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Sébastien Joubert-Gauthier

6/23/20245 min read

La récente décision du président de la république, Emmanuel Macron, de dissoudre l'Assemblée Nationale a suscité, la semaine dernière, un débat intense autour de l'abandon inévitable de plusieurs projets de loi cruciaux, notamment celui sur le logement abordable.

En effet, le Sénat a décidé, le 10 juin 2024, de suspendre ses travaux en séance publique et il assez peu probable que, suite à l’installation de la nouvelle assemblée, ses travaux reprennent sur des textes qui n’auraient pas été remaniés.

Alors que le marché du logement en France est déjà en proie à des bouleversements majeurs, cette interruption inattendue soulève des questions profondes sur le rôle de l'État et la capacité de l'autorégulation du marché à résoudre ces problèmes épineux.

Un secteur en crise

Le marché immobilier français traverse une période de turbulences multifactorielle, marquée par la flambée des coûts de construction, la baisse du pouvoir d'achat des Français, notamment suite à la hausse des taux d’intérêt, au durcissement des conditions d'accès au crédit immobilier ou encore à de nouvelles normes énergétiques.

Les récentes statistiques publiées montrent une augmentation significative des prix de l'immobilier, sur les dernières années en particulier dans les grandes métropoles comme Paris et Lyon, aggravée par la réduction du nombre de biens disponibles à la location.

L'abandon du projet de loi sur le logement abordable en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale pourrait donc aggraver la situation, à tout le moins (oui, chez (Un)Mute on utilise ce genre de locution adverbiale ;-)) retarder son amélioration.

Le projet de loi sur le logement abordable

A la lecture du dossier de presse, on note que les ambitions du projet de loi “pour développer l’offre de logements abordables” sont importantes puisqu’il est décrit comme devant créer “un choc d’offre” en permettant de produire plus de logements et faire le choix de la confiance.

Cette ambition se décline autour de 14 mesures réparties en autant d’articles :

  • Article 1 : inclure dans les objectifs de production de la loi SRU, la construction de logements intermédiaires pour favoriser la mixité,

  • Article 2 : permettre aux maires de décider de l'attribution des logements sociaux neufs,

  • Article 3 : créer un nouvel outil de préemption pour réguler les prix des terrains,

  • Article 4 : réduire de 4 mois les délais de recours pour construire des logements plus rapidement,

  • Article 5 : offrir aux élus la maîtrise de la densification pavillonnaire douce pour encourager la construction,

  • Article 6 : simplifier les démarches d'aménagement global du territoire,

  • Article 7 : augmenter la production de logements intermédiaires,

  • Article 8 : améliorer le pilotage des loyers des logements sociaux,

  • Article 9 : encourager les bailleurs à trouver des solutions financières avantageuses pour la construction de logement,

  • Article 10 : accélérer l'accès au logement des travailleurs,

  • Article 11 : renforcer la mobilité résidentielle,

  • Article 12 : renforcer les compléments de loyers pour les locataires dont la situation s'améliore,

  • Article 13 : étendre le bail mobilité au parc social pour les personnes en besoin de logement pour une courte durée,

  • Article 14 : faciliter la vente des logements sociaux.

Même si la plupart des mesures ont été retenues par la commission des affaires économiques dans le projet de loi qu’elle a adopté après l’avoir modifié et renforcé, le 5 juin 2024, nous notons que cette commission regrette, dans son rapport, “la faible portée d’un texte sans vision stratégique et très en deçà des besoins et attentes face à la gravité de la crise du logement”.

On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité de cette loi à constituer une réelle réponse à la crise actuelle du marché de l’immobilier.

Intervention de l’État : Nécessité ou Entrave ?

La dissolution entraîne une pause forcée dans les interventions étatiques, amenant à s'interroger sur la pertinence et l'efficacité de telles interventions.

D’un coté, les défenseurs de l'intervention de l'État soutiennent que sans un cadre législatif solide (nous serions tenté de rajouter “stable”), le marché est incapable de répondre à la demande croissante. Des mesures régulatrices sont jugées essentielles pour encourager la construction de logements sociaux, offrir des subventions à l'achat ou à la location et mettre en place des politiques urbaines durables.

L’intervention de l’État serait cruciale pour corriger les déséquilibres du marché et garantir un accès équitable au logement. Par exemple, des programmes tels que la loi Pinel et la réduction des taux d’intérêt pour les prêts immobiliers auraient démontré leur efficacité à stimuler le marché immobilier, mais nécessiteraient une continuité législative pour être pleinement efficaces.

C’est ainsi que l’on a vu, cette semaine, le président de la Fédération Française du Bâtiment formuler une dizaine de propositions et dire attendre du futur hémicycle de l'Assemblée nationale “la volonté politique suffisante pour relancer l'activité et leur garantir une visibilité suffisante”.

De son coté, Pascal BOULANGER, le président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers, dans un post LinkedIn, adressé vendredi 14 juin aux futurs députés, considérait qu’il leur appartenait “de mettre en œuvre les solutions immédiates et puissantes que les différents gouvernements n’ont pas été capables de prendre jusqu’à présent”.

Par ailleurs, dans une interview très intéressante donnée au Moniteur des Travaux Publics, le président de la FPI, formule un certain nombre de propositions pour traiter la crise, qu’il estime être une crise de la demande, parmi lesquelles :

  • La création d’un prêt hybride dissociant le remboursement de la part du crédit foncier et celle, in fine du crédit immobilier,

  • La portabilité du prêt,

  • Pondérer le taux maximum d’endettement en fonction du reste à vivre et non du revenu,

  • Une exonération temporaire sur les droits de donation et succession, s’ils ont vocation à financier l’achat d’un logement neuf.

L'autorégulation du Marché : Une solution faisable ?

De l’autre coté, certains économistes et experts de marché argumentent en faveur de l'autorégulation.

Par exemple, lors de son interview dans notre newsletter, Xavier LEPINE considérait que bien souvent les interventions étatiques avaient été soit contracycliques soit s’étaient traduites par la suite par des effets négatifs.

Les partisans de cette thèse, estiment que le marché immobilier, libéré des entraves bureaucratiques, pourrait s'ajuster naturellement sans intervention gouvernementale excessive.

La flexibilité du marché permettrait une adaptation plus rapide à la demande réelle, et les innovations privées, comme le modèle imaginé par NEOPROPRIO ou d’autres, pourraient offrir des solutions innovantes et économiques.

Cependant, cette vision est souvent critiquée pour son optimisme excessif. L'absence de régulation pourrait mener à une spéculation accrue et à une inégalité flagrante dans l'accès au logement, laissant les plus vulnérables sans protection.

Alors quel avenir pour le logement ?

Le sujet est complexe. La situation actuelle appelle à une réflexion profonde et équilibrée.

Certes, la “mise en pause” du processus législatif pourrait bien signifier un recul dans les efforts pour résoudre la crise du logement.

Cela étant, on se rend compte que les lois sont la résultante de consensus qui sont parfois éloignés de l’ampleur de la difficulté des acteurs sur le terrain, raison pour laquelle il semble qu’une partie de la solution soit également entre les mains des acteurs du marché qui doivent redoubler de propositions et d’innovation.

Et vous, qu’en pensez-vous ?