La vente d'un bien immobilier par une personne publique au profit d'un opérateur privé

Tous les mois, nous vous proposons de décortiquez une nouvelle aventure immobilière d'Antoine, notre personnage fictif, à l'occasion d'un échange avec Eric et Sébastien, cofondateurs d'UrbanSolutions et de la newsletter (Un)Mute

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Eric Arnaud

10/2/20237 min read

Jeudi 21 septembre, 23h02… Nous retrouvons nos héros autour d’une bière sur le vieux port de Marseille, peu de temps après avoir assisté au match France - Namibie. Antoine, en tant que promoteur digne de ce nom, a pu avoir trois places à la dernière minute. Son premier réflexe a donc été d’inviter Eric et Sébastien en remerciement de leurs précieux conseils… mais aussi pour évoquer une nouvelle problématique à laquelle il est confronté.

[UM] : Qu’est-ce qui ne va pas Antoine, tu n’as pas l’air dans ton assiette…tu n’as toujours pas digéré les pieds paquets de ce midi ?

Ndlr : Les pieds paquets sont une spécialité marseillaise. L'invention de la recette est attribuée à Louis Ginouvès, un cuisinier du quartier de la Pomme à Marseille, en 1880. Ce plat est composé de panse et pieds d’agneaux, mijotés dans une sauce tomate au vin blanc et aux herbes de Provence. La panse d’agneau est coupée en carrés et chaque morceau est farci de maigre de porc, d’ail et de persil haché. Un délice ! N’hésitez pas à nous solliciter si vous souhaitez connaître la meilleure adresse pour en déguster à Marseille.

[Antoine] : Si si, ca va beaucoup mieux. En réalité je me fais du souci pour Antoine DUPONT. Il semblerait que la coupe du monde soit terminée pour lui…

[UM] : Tu sais, comme l’a dit un jour Bernard Laporte, “au rugby il y a deux belles sorties : par saignement, et sur civière ! Et même sur la civière faut que tu montres que t’as envie d’y retourner…”. Quoi qu’il advienne, il peut être fier de son match ce soir.

[Antoine] : Oui Bernard est un grand philosophe, c’est bien connu ! Quoi qu’il en soit, cette coupe du monde n’a pas fini de nous surprendre.

[UM] : C’est pas faux…

[Antoine] : Avant que mon esprit ne s’obscurcisse un peu trop, je voulais vous parler d’un nouveau foncier que j’ai identifié. Le PLU autoriserait la réalisation de logements. Toutefois, ce terrain appartient à la commune. Je me demandais donc si cette dernière était en capacité de le céder en gré à gré ou si elle devait obligatoirement passer par une mise en concurrence.

[UM] : C’est une très bonne question Antoine. Contrairement à l’Etat, les collectivités territoriales (et leurs établissements publics) peuvent librement céder de gré à gré les biens qui leur appartiennent.

L’article L. 3211-14 dispose simplement que « les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics cèdent leurs immeubles ou leurs droits réels immobiliers, dans les conditions fixées par le Code général des collectivités territoriales ». La procédure relative aux cessions immobilières est donc encadrée par le Code général des Collectivités Territoriales qui prévoit que les cessions immobilières doivent ainsi être autorisées par l'assemblée délibérante (articles L. 2241-1, L. 3213-1, L. 3213-2 et L. 4221-4 du CGCT), et faire l'objet d'une délibération motivée portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles, après avis des domaines quant à la valeur vénale. Aucun autre formalisme n’est prévu.

En revanche, rien interdit à une collectivité, dans une logique de bonne gestion de son patrimoine (voire pour des considérations d’ordre politique), de soumettre volontairement la vente à une procédure de mise en concurrence préalable.

Par ailleurs, dans certains cas, la vente pourra, en fonction de sa finalité, être qualifiée de contrat de la commande publique et donc être obligatoirement soumise à publicité et procédure de mise en concurrence préalable (ndlr : nous ne manquerons pas de vous en dire plus sur le sujet très prochainement).

[Antoine] : Les règles ne sont pas les mêmes pour l’Etat et les collectivités territoriales ?

[UM] : La règle est en effet différente pour l’Etat… Un immeuble relevant du domaine public de l’Etat ne peut être cédé qu’au terme d’une procédure de publicité et de mise en concurrence (art. L. 3211-1 et R. 3211-2 CGPPP). Il s’agit toutefois d’un dispositif relativement léger qui n’implique pas la mise en oeuvre d’une procédure formalisée.

De plus, il existe quelques exceptions que l’on retrouve principalement à l’article R. 3211-7.

Enfin et pour te permettre d’avoir une vision globale du sujet, saches que le Conseil d’état a récemment consacré (CE. 2 décembre 2022 n°460100) le fait que l’Etat avait la possibilité de consentir de gré à gré un bail emphytéotique ou à construction sur son domaine privé.

[Antoine] : Quelles sont les exceptions prévues à l’article R. 3211-7 ?

[UM] : Sans revenir en détail sur chacune car ce n’est pas le coeur du sujet, l’une d’elle mérite qu’on s’y attarde. Celle-ci prévoit que “La cession d'un immeuble peut être faite à l'amiable sans appel à la concurrence (…) 5° Lorsque les conditions particulières d'utilisation de l'immeuble le justifient ;”

[Antoine] : Je ne suis pas certain de saisir la portée de cette exception. J’ai l’impression que cela laisse une importante marge d’appréciation en pratique, non ?

[UM] : C’est bien pour ça que nous prenons la peine de nous attarder sur le sujet. Sa portée n’est effectivement pas évidente à saisir, d’autant qu’il y a assez peu de jurisprudence sur le sujet. Pour s’en faire une idée, il est toutefois possible de s’appuyer sur la circulaire du 6 mai 2008 relative aux nouvelles procédures de cession du foncier public dans le cadre de la mobilisation du foncier public en faveur du logement et de l’aménagement, qui indique qu’ « à titre exceptionnel, lorsque les intérêts recherchés par l’Etat sont mieux préservés que par une opération de cession de gré à gré, la cession peut être réalisée dans ce cadre. Le recours à des cessions de gré à gré doit être justifié par leur caractère particulier (terrain enclavé, opération de démolition reconstruction avec faible densification, etc.). Dans tous les cas, la cession ne peut être réalisée en-deçà de la valeur domaniale ».

[Antoine] : Intéressant… Quoi qu’il en soit cela signifie que dans le cas présent je vais pouvoir faire une offre à la commune. Savez vous si les collectivités sont soumises à des règles particulières en ce qui concerne la détermination de la valeur vénale d’un bien qu’elles vendent ?

[UM] : Oui tout à fait. Aux termes de l’alinéa 3 de l’Article L.2241-1 code général des collectivités territoriales “Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité.”

Concrètement, cela signifie que la commune devra impérativement, avant toute délibération, saisir la Direction Immobilière de l’Etat (DIE) afin de solliciter son avis sur la valeur vénale du bien.

Sur ce point, tu peux utilement te référer à la Charte de l’Evaluation des Domaines (ici) qui est plutôt bien faite.

[Antoine] : Est-ce que la collectivité est tenue de respecter l’avis de la DIE ?

[UM] : La jurisprudence administrative admet qu’une personne publique puisse céder un bien à un prix inférieur à sa valeur vénale, sous réserve de satisfaire aux deux conditions suivantes :

  • La cession doit être justifiée par des motifs d'intérêt général ;

  • La cession doit comporter des contreparties « suffisantes » ou « appropriées ». Il s’agit là pour la collectivité d’apprécier si les avantages que ladite cession est susceptible de lui procurer, au regard des intérêts publics dont elle a la charge, sont suffisants pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé (ex : création d’emplois, création de logements sociaux dans une zone très déficitaire, …). L’appréciation devra être effectuée au cas par cas, en considération du contexte.

[Antoine] : Merci les gars pour toutes ces informations, je me sens à présent prêt !

[UM] : Tant mieux ! Et surtout n’oublie pas que, pour être cédé, un bien du domaine public devra préalablement être désaffecté et déclassé.

[Antoine] : Heu… Je crois que vous m’en avez déjà parlé, mais je ne suis pas contre un petit rappel…

[UM] : Oui, cela semble effectivement nécessaire :

  • La désaffectation est un acte matériel : Le bien ne doit plus être affecté à l'usage direct du public ou à un service public. Concrètement, s’agissant d’un terrain, cela signifie que l’accès au terrain doit être interdit aux piétons et aux véhicules. Il devra être clôturé physiquement par la pose de barrières ou d’enrochement. Cette “clôture d’accès” devra être constatée. Et surtout, une fois la désaffectation effectuée, le terrain ne doit en aucun être de nouveau ouvert au public car cette situation le ferait à nouveau basculer dans le domaine public.

  • Le déclassement est quant à lui un acte formel : Il devra être formalisé dans le cadre d’une délibération du conseil municipal. Dans le cadre de cette délibération, le conseil municipal constate la désaffectation et prononce le déclassement du bien.

En principe, il ne peut y avoir de déclassement sans désaffectation. Toutefois, il existe des exceptions :

  • Le mécanisme du déclassement anticipé (Art. L. 2141-2 CGPPP), qui permet sous certaines conditions de prononcer le déclassement d’un bien appartenant au domaine public artificiel d’une personne publique, dès que sa désaffectation a été décidée alors même que les nécessités du service public ou de l'usage direct du public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l'acte de déclassement. Ce délai ne peut excéder trois ans.

  • Le mécanisme de la promesse sous condition suspensive de déclassement (Art. L. 3112-4 CGPPP) : Un bien relevant du domaine public peut faire l'objet d'une promesse de vente ou d'attribution d'un droit réel civil dès lors que la désaffectation du bien concerné est décidée par l'autorité administrative compétente et que les nécessités du service public ou de l'usage direct du public justifient que cette désaffectation permettant le déclassement ne prenne effet que dans un délai fixé par la promesse.

Mais cela est une autre histoire 😉.