L'archéologie préventive : Indiana Antoine à la recherche de la source Nemausus

Dans le cadre de ce nouvel article, nous vous emmenons dans l’univers de l’archéologie préventive. Nous tenterons, au travers de cet article de vous présenter ce qu’est l’archéologie préventive, son régime juridique, quelles sont les prescriptions archéologiques qui peuvent impacter votre projet immobilier, leur délai et nos recommandations pour éviter de vous retrouver dans une fâcheuse situation. 3, 2, 1 c’est parti 🚀

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Sébastien Joubert-Gauthier

11/4/202411 min read

[Samedi 2 novembre 2024 - 14h08].

Nous retrouvons Sébastien, Eric et Antoine dans le 2e arrondissement de Lyon, Quai Rambaud, pour visiter, quelques heures avant son terme, l’exposition Passion Japon.

Comme le savent nos lecteurs de la première heure, Antoine est passionné du Japon. Il a souhaité faire découvrir à ses deux compères, au travers de cette promenade, les très nombreuses facettes de ce pays où les incursions du passé font irruption : religions, arts martiaux, gastronomie, mais aussi arts de la scène, musique ou encore mangas.

C’est le moment choisi par Antoine pour nous faire part de sa dernière opération immobilière.

[UM***] : Tu m’as l’air soucieux Antoine ?

[Antoine] : J'ai un nouveau projet immobilier en vue à Nîmes. J’ai identifié un foncier qui coche toutes les cases pour réaliser un super projet immobilier.

[UM***] Jusqu’ici, rien n’explique ta mine blafarde.

[Antoine] : Je négocie actuellement la promesse de vente avec le propriétaire du terrain mais il refuse d’intégrer une condition suspensive liée à l’archéologie préventive. Ne connaissant pas bien le régime juridique de l’archéologie préventive, je ne sais pas s’il s’agit d’une clause de style à laquelle je peux renoncer ou si je dois en faire un point dur dans ma négociation.

[Antoine] : A vrai dire, je ne sais pas exactement ce qu’est l’archéologie préventive et comment cela pourrait impacter mon opération.

[UM***] : L’archéologie préventive a une définition relativement large que l’on retrouve sous le visa de l’article L 521-1 du code du Patrimoine.

“L' archéologie préventive , qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l' archéologie . Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus”.

Cette définition - certes un peu ardue si tu n’es pas bien réveillé - est intéressante car elle :

  • Associe l'archéologie préventive à la recherche scientifique,

  • La rattache aux missions de service public dont l'État est le garant,

  • Pose deux conditions cumulatives à son déclenchement qui sont :

    • La réalisation de travaux d'aménagement,

    • L’atteinte au patrimoine archéologique.

Autrement précisé, le champ d'application des mesures d'archéologie préventive est circonscrit aux travaux d'aménagement ou de constructions, affectant ou susceptibles d'affecter des éléments du patrimoine archéologique. La décision de prescrire ces mesures ressort de la seule compétence de l'État.

[Antoine] : C’est bien gentil tout ça mais comment sait-on si les travaux de mon opération immobilière peuvent porter atteinte au patrimoine archéologique et comment l’Etat s’assure-t-il qu’il a bien connaissance des travaux qui seront réalisés ?

[UM***] : Le mécanisme de prescription repose sur deux éléments :

  • Tout d’abord, identifier les dossiers d'aménagement, de construction d'ouvrages ou de travaux auxquels pourront être opposées des mesures d'archéologie préventive en fonction de leur localisation, de leur nature ou de leurs seuils,

  • Ensuite, pour ces dossiers, prévoir la consultation obligatoire des services régionaux de l'archéologie.

Concrètement, la consultation des services régionaux de l'archéologie est automatique (peu important où ils sont réalisés) pour les dossiers concernant :

  • La création de ZAC et de lotissement d’une superficie supérieure ou égale à 3 ha,

  • Les travaux d'affouillement, de nivellement ou d'exhaussement de sol liés à des opérations d'aménagement d'une superficie supérieure à 10 000 m² et affectant le sol sur une profondeur de plus de 0,50 mètre,

  • Les travaux de préparation du sol ou de plantation d'arbres ou de vignes, affectant le sol sur une profondeur de plus de 0,50 mètre et sur une surface de plus de 10 000 m²,

  • Les travaux d'arrachage ou de destruction de souches ou de vignes sur une surface de plus de 10 000 m²,

  • Les travaux de création de retenues d'eau ou de canaux d'irrigation d'une profondeur supérieure à 0,5 mètre et portant sur une surface de plus de 10 000 m²,

  • Les aménagements et ouvrages dispensés d'autorisation d'urbanisme, soumis ou non à une autre autorisation administrative, qui doivent être précédés d'une étude d'impact,

  • Les travaux sur les immeubles classés au titre des monuments historiques qui sont soumis à une autorisation au titre du Code du Patrimoine.

[Antoine] : Pour la plupart de mes opérations, je ne devrais donc pas être concerné.

[UM***] : C’est probable en effet, même si l’hypothèse des travaux d’affouillement est parfois piégeuse.

Là où ça se complique, c’est que dans le cadre de son travail de mise à jour de la carte archéologique nationale, qui rassemble les données archéologiques disponibles pour l'ensemble de la France, l’Etat peut définir des zones où les projets d'aménagement affectant le sous-sol sont présumés faire l'objet de prescriptions archéologiques préalablement à leur réalisation.

Cela devrait très certainement être le cas de Nîmes, compte tenu de son passé et son histoire romaine.

La Carte archéologique nationale est consultable sur demande au Service Régional de l’Archéologie de chaque Direction Régionale des Affaires Culturelles (Drac).

Dans ces zones, la consultation automatique est étendue aux dossiers concernant des travaux soumis à :

  • Permis de construire,

  • Permis de démolir,

  • Autorisation de lotir et ZAC, sans condition de surface.

Dans le cadre des opérations soumises à autorisation de construire, cette saisine est réalisée, la plupart du temps, dans le cadre de la procédure d’instruction de cette autorisation.

[Antoine] : Concrètement, comment se concrétise l’objectif de détection, conservation et sauvegarde des éléments du patrimoine archéologique, évoqué dans la définition de l’article L 521-1 ? Des recommandations au travers d’un courrier recommandé ?

[UM***] : Cela va bien au-delà, Antoine. Les prescriptions archéologiques peuvent avoir un réel impact sur ton opération immobilière car elle peuvent comporter soit la réalisation d'un diagnostic ou d'une fouille, soit l'indication de la modification du projet. L'exécution de ces prescriptions est un préalable à la réalisation des travaux (R 523-15).

[Antoine] : Je vais donc devoir engager des chasseurs de trésors pour vérifier s’il n’y en a pas sur mon terrain ?

[UM***] : Au risque de te décevoir, l’association que tu fais entre fouilles archéologiques et Indiana Jones est un peu Rome Antique romantique. Déjà, comme nous l’avons évoqué, le monopole de ce travail appartient à l’Etat et il s’agit avant tout d’un travail scientifique. Nul présence de fouet et de chapeau Fédora ici.

Les protagonistes ressemblent moins à Indiana Jones qu’à Margaret Gesner 😁.

Le projet d'aménagement est analysé :

  • Par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC, Service Régional de l’Archéologie (SRA)) si les travaux se situent dans le domaine terrestre ou les eaux intérieures,

  • Par le Département des Recherches Subaquatiques et Sous-Marines(DRASSM) si les travaux se situent dans le domaine public maritime ou la zone contigüe.

[Antoine] : Comment s’articulent les prescriptions de diagnostic et de fouille ?

[UM***] : L’objectif du diagnostic est de permettre l'appréciation de la qualité scientifique et patrimoniale du site et de la nécessité d'en prescrire la conservation ou la fouille. C’est un peu comme une visite de routine chez le dentiste. Il vise, par des études, prospections ou travaux de carottages et/ou de sondages, à mettre en évidence et à caractériser les éléments du patrimoine archéologique et à présenter les résultats dans un rapport.

Le rapport est rédigé par l’opérateur (un service de collectivité territoriale habilité ou l’Inrap) qui le transmet à la Drac ou au Drassm, et à l’aménageur. À compter de la réception du rapport de diagnostic, la Drac ou le Drassm dispose de 3 mois pour se prononcer sur les suites à donner à l’opération :

  • S’il n’y a pas de vestiges, ou si les vestiges mis au jour ne justifient pas une étude, ou encore si le projet d’aménagement n’est pas susceptible de détruire les vestiges archéologiques, les travaux peuvent démarrer,

  • Si le projet d’aménagement a pour effet de détruire les vestiges archéologiques identifiés, l’État peut prescrire toute mesure permettant leur sauvegarde, soit par la réalisation d’une fouille préventive, soit par la modification du projet,

  • Si la destruction des vestiges a pu être évitée par la mise en œuvre de solutions techniques, l’État établit un « arrêté de modification de consistance de projet » faisant état de ses préconisations. Il le transmet à l’aménageur et aux services en charge de l’urbanisme.

[Antoine] : Donc concrètement, si lors du diagnostic l’opérateur découvre des vestiges suffisamment intéressants, comme des indices de la source de Nemausus, je suis bon pour des fouilles !?

[Antoine] : Et la fouille, dans ce cas, cela consiste en quoi ?

[UM***] : La fouille vise, quant à elle, à recueillir les données archéologiques présentes sur le site, par des études, des travaux de terrain et de laboratoire, à en faire l'analyse, à en assurer la compréhension et à présenter l'ensemble des résultats dans un rapport final. C’est parfois le seul moyen de conserver la mémoire du site qui aura totalement disparu une fois la fouille faite et l’aménagement réalisé.

[Antoine] : Tu évoquais que l’on pouvait également aussi me prescrire de modifier mon projet ?

[UM***] : Le préfet peut effectivement demander de modifier la consistance du projet pour éviter en tout ou partie la réalisation des fouilles.

Ces modifications peuvent porter sur la nature des fondations, les modes de construction ou de démolition, le changement d'assiette ou tout autre aménagement technique permettant de réduire l'effet du projet sur les vestiges.

[Antoine] : Les équilibres économiques des opérations immobilières étant de plus en plus fragiles, la réalisation de travaux complémentaires (aujourd’hui non provisionnée) ou la réduction de la surface de mon projet sera très certainement fatale à mon projet. Et même si l’on ne va pas jusqu’à cet extrême, j’imagine que de telles prescriptions vont impacter considérablement mon projet en terme de délai.

[UM***] : A ce stade, je te propose de ne pas rentrer dans le détail de chacun des délais, dont d’ailleurs certains sont contractuels. Retiens qu’en cas de prescription de diagnostics et / ou de fouilles, le planning de ton projet pourrait être impacté de plusieurs mois voire années …

[Antoine] : Qui finance ces études et travaux ? Ce n’est tout de même pas moi ?

[UM***] : Il faut distinguer le financement des diagnostics et des fouilles.

L’État assure le financement des diagnostics en versant chaque année une subvention aux opérateurs assurant cette mission. Cette subvention repose sur le produit de la Taxe d’archéologie préventive (TAP) qui est habituellement due par les personnes qui projettent de réaliser des travaux affectant le sous-sol et que tu as par exemple déjà payée sur ta précédente opération de FIDIACE.

En revanche, le coût de la fouille est à la charge de l’aménageur. Nous ne l’avons pas encore évoqué mais la réglementation désigne par aménageur la personne qui projette de réaliser les travaux, donc toi.

L’opérateur lui facture directement ses prestations en application du contrat qui sera conclu entre les parties.

Même si l’on s’écarte un peu du sujet, garde en tête que le promoteur pourra bénéficier d’une subvention ou d’une prise en charge de tout ou partie du coût de la fouille dans le cadre du Fonds National pour l’Archéologie Préventive (FNAP) si son opération concerne la réalisation de logements sociaux.

[Antoine] : Ca peut vraiment être la cata …

[UM***] : En fait, pour les besoins de la présentation et pour te préserver, nous t’avons présenté les cas de saisine obligatoire. Or, le code du patrimoine à prévu la possibilité d’une intervention des services de l’archéologie préventive, en dehors de ces cas, au travers de 2 hypothèses :

  • La saisine facultative de l’article R 523-8,

  • L’autosaisine de l’article R 523-7.

Je te propose d’y revenir dans le cadre d’une prochaine aventure pour ne pas polluer notre échange.

[Antoine] : Existe-t-il quelques des tips pour empêcher cette situation ou s’en prémunir ?

[UM***] : L’empêcher, non. En revanche, maintenant que tu sais que :

  • Les projets soumis à l’archéologie préventive sont déterminés en fonction de leur nature, de leur seuil et de leur localisation,

  • L’archéologie préventive se manifeste par des prescriptions,

  • A l’occasion du processus d’instruction de l’autorisation de construire,

  • Elles peuvent être des prescriptions de diagnostic, de fouille ou de modification de ton projet,

  • et que ces prescriptions empêchent le commencement des travaux,

  • et que même en dehors des cas de saisine obligatoire, tu pourrais avoir des prescription,

tu peux mettre en œuvre plusieurs garde-fous pour éviter d’être contraint d’acheter un foncier qui n’est pas libéré de toute contrainte relative à l’archéologie préventive et de devoir reporter le réalisation de tes travaux voire de devoir modifier substantiellement ton projet.

Notre premier conseil serait de prévoir, lors de la négociation de la promesse de vente du foncier, une condition suspensive d’absence de prescription d’archéologie préventive.

Suivant le mécanisme que nous avons vu tout à l’heure, une telle condition suspensive pourrait etre rédigée de la manière suivante :

“Qu’il ne soit pas prescrit la réalisation d’un diagnostic archéologique préventif, de fouilles ou la conservation de tout ou partie du terrain ou de modifier la consistance du programme de construction du Bénéficiaire.

Toutefois, pour le cas où le préfet de région imposerait au Bénéficiaire la réalisation d’un diagnostic archéologique préventif sur tout ou partie du terrain, le Bénéficiaire disposera de l’alternative suivante :

  • Considérer la condition suspensive comme étant non réalisée sans être même tenu d’entreprendre le diagnostic sollicité, la promesse étant alors caduque sans indemnité de part ni d’autre,

  • Décider de faire réaliser ledit diagnostic archéologique.

Si à l’issue de ce diagnostic et à l’expiration du délai imparti à l’autorité administrative compétente pour les formuler, il n’est notifié aucune prescription archéologique (notamment la réalisation de fouilles), la promesse se poursuivra dans les conditions des présentes.

Si au contraire, il est prescrit l’organisation de fouilles et / ou la modification du programme de construction, le Bénéficiaire pourra se prévaloir de la caducité des présentes, sans indemnité de part ni d’autre.”

Notre second conseil serait de consulter la carte archéologique nationale pour vérifier la sensibilité de ton site.

Dans la mesure où la date d’obtention de l’autorisation de construire peut souvent s’avérer être trop tardive dans le planning, dans le mesure où l’on peut à cette date avoir engagé des frais conséquents, notre troisième conseil (en fonction de l’intérêt archéologique du site) serait d’essayer d’anticiper la révélation des prescriptions en faisant une demande anticipée de prescription.

Pour cela, le code prévoit un processus en deux étapes :

  • La demande faite au Préfet d’examen préalable du projet afin de savoir s’il est susceptible de donner lieu à des prescriptions archéologiques (R 523-12).

    A cette fin, il faudra lui adresser un dossier qui comporte un plan parcellaire et les références cadastrales, le descriptif du projet et son emplacement sur le terrain d'assiette ainsi que, le cas échéant, une notice précisant les modalités techniques envisagées pour l'exécution des travaux.

    Si le préfet de région constate que le projet est susceptible d'affecter des éléments du patrimoine archéologique, il informe le demandeur, dans le délai de 2 mois à compter de la réception de la demande, que le projet qu'il a présenté donnera lieu à des prescriptions de diagnostic archéologique.

    En cas de réponse négative ou d'absence de réponse dans le délai de 2 mois, si le projet est situé en dehors d'une zone de saisine, le préfet de région est réputé avoir renoncé à prescrire un diagnostic sur le même terrain et pour le projet de travaux dont il a été saisi, pendant 5 ans. Cette présomption tombe en cas de modification substantielle du projet ou des connaissances archéologiques sur le territoire de la commune.

  • Si le Préfet a informé le demandeur que le projet donnera lieu à des prescriptions, le promoteur peut, dans ce cas, en demander la réalisation anticipée ce qui peut être intéressant dans certaines opérations (R 523-14).

Voilà Antoine, tu en sais désormais plus sur l’archéologie préventive.

J’espère que cela t’a plu.

A bientôt.