Le bail à construction : sénior, moi ? Mais je me sens jeune !

C’est avec un immense plaisir que nous vous retrouvons aujourd’hui pour aborder un sujet qui, nous l’espérons, vous plaira, celui du Bail à Construction. Un outil fabuleux pour certain, un outil presque inconnu pour d’autres. Nous tenterons donc, au travers de ce numéro, de vous présenter ses principales caractéristiques, son régime juridique, sa durée, ses différences avec les autres baux, ainsi que ses avantages fiscaux avant de voir comment il est en train de connaître un renouveau.

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Sébastien Joubert-Gauthier

2/3/20259 min read

[Antoine] : Salut les gars, j’espère que vous allez bien en ce début d’année. J’ai vu que vous étiez intervenus, en fin d’année dernière, au colloque organisé par le SERDEAUT, centre associé au GRIDAUH, et le Master 2 droit immobilier de Paris 1, à la Sorbonne, sur le bail à construction.

[UM] : Oui, c’est juste. C’était une expérience très enrichissante. A l’occasion des 60 ans de la loi du 16 décembre 1964 instaurant le bail à construction, le SERDEAUT, le Master 2 droit immobilier du l’Université Paris 1 et l’étude CHEUVREUX ont souhaité faire un bilan et dresser quelques perspectives de cet outil. Nous avons eu le plaisir d’etre associés à cette matinée pour partager des exemples pratiques de notre utilisation du bail à construction (BAC).

[Antoine] : J’ai identifié une consultation lancée par une congrégation non loin de La Rochelle qui propose l’attribution d’un bail à construction sur un foncier d’exception. Le problème est que je n’ai jamais conclu un tel bail et je ne sais pas s’il est suffisamment sécurisant, au regard des investissements conséquents nécessaires.

Je me suis fait une liste de questions. Est-ce que je peux vous la poser, sans abuser ?

[UM] : [Alors que Sébastien et Eric ne sont toujours pas parvenus à s’extirper du coin où Antoine les avait coincés] Bien sur Antoine, nous ne pouvons rien te refuser…

[Antoine] : Quelles sont les principales caractéristiques du BAC ?

[UM] : Il faut que tu saches que le BAC est un contrat de location, d’une longue durée et qu’à titre principal (c’est un point important qui nous permettra de le distinguer d’autres baux), il oblige le preneur à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et lui confère un droit réel immobilier.

Il est particulièrement adaptable à la pratique immobilière car :

  • Seules certaines de ses dispositions sont d'ordre public (celles relatives à la cession, à la possibilité de créer des servitudes pour les besoins des constructions et à la compétence du président du tribunal judiciaire pour les contestations relatives au loyer), les autres peuvent être librement négociées par les parties,

  • Il peut avoir pour assiette une emprise en pleine propriété, mais également un lot de volume,

  • Il peut être cédé par l’effet d’une “vente en l’état futur d’achèvement”1.

[Antoine] : Quel est le champ d'application du bail à construction ?

[UM] : Le législateur a envisagé un champ d’application extrêmement large.

Le BAC n'est limité ni par le secteur d'implantation des constructions (milieu urbain, rural, industriel, etc.), ni par la nature et la destination de ces dernières (logement, bureaux, …). Il peut s’agir d’immeubles nus ou bâtis, peu importe. La présence d'immeubles existants lors de la conclusion du bail n'est pas un obstacle à la conclusion de ce type de bail ; les parties peuvent librement convenir de leur sort (art. L251-2 du CCH). Ces existants peuvent donc être soit conservés par le bailleur, soit transférés ou loués au preneur.

[Antoine] : Qui peut consentir un BAC ?

[UM] : Toute personne privée, physique ou morale, peut consentir un BAC, à partir du moment où elle a la capacité d'aliéner.

Il peut également s’agit des personnes publiques, s’il s’agit de leur domaine privé.

[Antoine] : Tu évoquais un bail de longue durée. J’aimerai qu’elle puisse être suffisamment longue pour me permettre d’amortir mes investissements.

[UM] : Le BAC doit être conclu pour au moins 18 ans et au plus pour 99 ans (L 251-1 CCH). Au visa de l’article L251-1, al. 3 du CCH, la prolongation par tacite reconduction est impossible.

Le plus souvent, sa durée est effectivement fixée en tenant compte du régime fiscal de l'accession des constructions au profit du bailleur ou de la nécessité que la durée du bail excède largement celle du financement hypothécaire projeté (en pratique, la durée du bail dépasse le plus souvent d'au moins vingt ans celle du financement).

[Antoine] : Quelles sont les obligations et prérogatives du preneur ?

[UM] : Le preneur est tenu :

  • D'édifier les constructions contractuellement prévues : aucune garantie d'exécution de cette obligation n'est prévue par les textes mais très souvent, dans la pratique, cette obligation est assortie d’un délai et d’une clause de pénalité à défaut de la respecter,

  • De les conserver en bon état : cela inclut les opérations d'entretien et de réparation de toute nature (art. L251-4, al. 2 du code de la construction et de l'habitation).

  • D'acquitter les charges, taxes et impôts relatifs tant aux constructions qu'au terrain (art. L251-4 précité).

Le BAC est particulièrement valorisé par les investisseurs dans la mesure où il permet au preneur de :

  • Consentir les servitudes passives indispensables à la réalisation des constructions prévues au bail. Le bailleur peut interdire ou subordonner à son accord préalable la constitution des servitudes autres que celles indispensables à la réalisation de la construction sur le terrain faisant l'objet du bail à construction.

  • Hypothéquer ses droits et constructions (art. L251 3, al. 2 du CCH),

  • Céder les droits immobiliers issus du contrat de BAC ou les apporter en société (art. L251-8 précité) : toute stipulation qui interdirait ou restreindrait ce principe pourrait être annulée ou emporter la requalification du bail en bail ordinaire,

  • Librement louer tant les constructions édifiées que le terrain d'assiette non affecté à l'édification des bâtiments objet du bail. En revanche, il ne peut pas consentir un sous-bail à construction ou un bail emphytéotique.

[Antoine] : Quelles sont les obligations du bailleur ?

[UM] : En application des articles L 125-5 et R 125-23 du code de l'environnement, le bailleur doit informer le preneur, en sa qualité de locataire d'un bien immobilier, de l'existence des risques naturels et technologiques auxquels le bien est exposé. Un état des risques doit être annexé au contrat.

Cela étant, dans la mesure où le bailleur n'est pas un vendeur, il n’est pas rare que nous ne disposions pas d’informations très conséquentes avant de signer un BAC. Il conviendra que tu sois particulièrement vigilant et que tu précises très clairement les hypothèses que tu as prises en compte s’agissant des caractéristiques mécaniques et sanitaires du terrain et que tu exiges une origine de propriété régulière et trentenaire.

Il conviendra également que tu veilles à l’absence de servitudes ou d’emplacements réservés qui pourraient remettre en cause ou renchérir l’exécution de ton projet et que tu t’assures, si le bailleur est une personne publique, qu’elle est effectivement propriétaire du terrain d’assiette du BAC car nombre d’entre-elles ne sont bien souvent qu’affectataires de ces biens (CROUS, universités, …).

[Antoine] : Est-ce que tu peux m’en dire plus sur l’obligation d’édifier du preneur ?

[UM] : Comme nous venons de l’évoquer, l'engagement d'édifier une ou plusieurs constructions est un élément constitutif principal du BAC. La construction d'un bâtiment neuf sur un terrain nu est le plus fréquemment imposée au preneur mais ce dernier peut s'engager à surélever un bâtiment existant, à réaliser des ouvrages souterrains ou à rénover lourdement un immeuble.

La destination des immeubles édifiés est une destination que l’on désigne de « structurelle » ce qui signifie que, dans le silence du contrat, toute activité non susceptible d’altérer l’immeuble peut y être exercée.

[Antoine] : Comment est établi le loyer ?

[UM] : A la différence du Bail Emphytéotique dont le loyer est modique, il a été jugé que le BAC doit comporter des loyers substantiels (CA Paris, 19 décembre 1989).

Le prix du bail peut consister dans l’une, l’autre ou un mixe des hypothèses suivantes :

  • Un paiement en numéraire (art. L251-5, al. 2 du CCH), périodique ou non. Son indexation doit respecter les dispositions d'ordre public des articles L112-1 et suivants du code monétaire et financier,

  • La remise des constructions au bailleur au cours ou en fin de bail (art. L251-2 du CCH), avec ou sans indemnité. La remise des constructions contractuelles sans indemnité en fin de bail est souvent choisie en raison de son traitement fiscal favorable pour le bailleur.

[Antoine] : Le régime fiscal du BAC serait favorable ?

[UM] : Le droit fiscal, comme tu le sais, n’est pas notre spécialité. Aussi, si tu rencontres une problématique spécifique concernant une opération nous ne saurons que trop te conseiller de solliciter un avocat spécialisé.

Nous pouvons néanmoins t’indiquer, s’agissant des grands principes que :

  • En principe, le BAC est exonéré de TVA (art. 261 D du CGI) mais les parties contractantes peuvent opter pour le paiement de la TVA (art. 260-5° du CGI), dans les mêmes conditions et selon le même taux que pour les ventes de terrains à bâtir,

  • La TVA doit être acquittée en totalité dès la conclusion du bail, son assiette est constituée par le montant cumulé des loyers,

  • Les loyers perçus ont le caractère de revenus fonciers (art. 33 bis du CGI), car c'est le plus souvent une personne physique qui se trouve être le bailleur, mais ils seront compris dans le bénéfice imposable si le bailleur est une entreprise industrielle ou commerciale,

  • Les remises d'immeubles ou fractions d'immeubles ou de titres données à titre de prix constituent un revenu imposable comme les loyers,

  • Le preneur peut déduire les loyers afférents au terrain pendant toute la durée de la location et toutes les charges relatives à la détention de l'immeuble. Il est débiteur de la taxe foncière due au titre de l'immeuble, objet du bail à construction (art. 1400-II du CGI).

  • Lorsque les constructions reviennent à l'issue du bail sans indemnité au bailleur, le régime fiscal de taxation présente des avantages pour le bailleur :

    • Si la durée est < à 30 ans, le revenu brut foncier est égal au prix de revient des constructions, sous déduction de 8 % par année de bail au delà de la dix-huitième,

    • Aucune imposition n'est due au titre de la remise des constructions si la durée du bail est égale ou > à 30 ans.

[Antoine] : Que se passe-t-il à l’issue du BAC ?

[UM] : Si les parties n’ont rien prévu de spécifique dans le contrat, le bailleur devient propriétaire des constructions édifiées (en général sans indemnité) et profite des améliorations réalisées (art. L 251-2 du CCH).

Le bail peut aussi prévoir une remise du terrain après démolition des constructions que le preneur s'était engagé à édifier (clause de nivellement).

Le preneur ne bénéficie ni d'un droit au maintien dans les lieux, ni à l'octroi préférentiel d'un bail, ni à la perception d'une indemnité. Les charges, baux ou titres d'occupation que la preneur a consentis s'éteignent (art. L 251-6 du CCH).

À l'issue du bail, le preneur peut acquérir la propriété du terrain ; ce mécanisme, dénommé « bail à construction à l'envers », bénéficie d'un traitement fiscal favorable, sur lequel nous te proposons de ne pas nous étendre aujourd’hui.

[Antoine] : Je commence à bien identifier en quoi le BAC est très diffèrent d’un bail ordinaire, cela étant, je ne perçois pas la différence avec un bail emphytéotique, dont j’ai également entendu parler.

[UM] : En effet, même si un bail ordinaire peut être de longue durée et porter sur une construction, il ne confère qu’un droit personnel et pas un droit réel immobilier. De plus, à la différence du BAC, le bail ordinaire peut interdire, totalement ou partiellement, la cession et/ou la sous-location (art. 1717 du code civil) et se poursuivre par tacite reconduction.

Différencier le BAC du bail emphytéotique est en revanche moins aisé dans la mesure où ces contrats sont similaires sur bien des aspects :

  • Durée minimale,

  • Caractère réel du droit conféré, possibilité de l'hypothéquer, libres cessions et apports en société,

  • Montant du loyer.

A notre sens, ce qui différencie véritablement ces deux contrats est :

  • La libre faculté et non pas l'obligation dans le bail emphytéotique d'améliorer le fond,

  • L'impossibilité d'imposer une destination à l'emphytéote sur le terrain et sur les immeubles existants ou édifiés.

[Antoine] : Tu évoquais tout à l’heure que le BAC connaissait un renouveau. Peux-tu m’en dire plus ?

[UM] : L’objectif poursuivi par le législateur de 1964, dans un contexte rappelons le de pénurie foncière, était tout à la fois de :

  • Inciter les propriétaires à proposer des terrains à bâtir demeurant inexploités,

  • Accorder aux constructeurs la possibilité de se procurer des terrains, à des conditions avantageuses, sans être contraints de les acheter.

Les conditions que nous connaissons actuellement, de pénurie du foncier et de hausse de son prix, nous semblent conduire un certain nombre d’acteurs à remobiliser le BAC.

Nous voyons par exemple que le BAC est devenu un outil de commercialisation du foncier économique sur un certain nombre de territoires. En commercialisant leur terrain via des BAC, les collectivités locales permettent de répondre à la demande mais entendent également s’assurer du maintien dans le temps de la vocation des terrains qu’elles ont subventionnées, afin d’éviter les spéculations reposant sur un changement d’affectation non encadré.

D’autres acteurs, comme la FONCIERE DE TRANSFORMATION DE L’IMMOBILIER utilisent le BAC pour soutenir l’offre de logement social et intermédiaire en transformant des bureaux, des locaux ou des terrains d’activités en logements.

D’autres encore, comme ta congrégation, peuvent trouver dans le BAC l’avantage de recouvrer la propriété d’un foncier stratégique, au terme du BAC.

Enfin, rappelons que les marchés de partenariats connaissent depuis deux, trois ans un retour en force. Plusieurs d’entre eux comportent un volet valorisation, ayant pour objet de générer des redevances d’occupation permettant de réduire le montant à financer, qui s’exécute au travers notamment d’un bail à construction.

Voilà Antoine, tu en sais désormais beaucoup plus sur le BAC. J’espère que ça t’a plu.

[Antoine] : Merci les gars, à bientôt.