Le chantier de la discorde (épisode 2) : comment gérer les jours et les vues

Comme tous les mois, nous vous proposons de plonger dans un nouvel épisode haut en couleur avec notre cher Antoine. Aujourd'hui, il doit une nouvelle fois affronter la colère d'un voisin à cause des travaux du projet immobilier qu’il a lancé il y a quelques mois. Et pour l’occasion, nous vous proposons de faire la connaissance d’Amandine, à qui nous avons confié les rennes de cette nouvelle aventure d’Antoine. 3, 2, 1 c’est parti 🚀

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Amandine Naimi et Eric Arnaud

10/7/20247 min read

Samedi 6 octobre 2024 - 20h45].

Nous retrouvons Antoine, Sébastien et Eric sur l’Ile de la Réunion. Alors qu’Antoine et Sébastien doivent participer au Grand Raid qui aura lieu du 17 au 20 octobre 2024, Eric a quant à lui décidé de profiter de l’occasion pour découvrir les spécialités locales…

Amandine, une vieille connaissance d’Eric et Sébastien les accueille pour l’occasion.

Entre deux entrainements, nos compères, toujours avides de nouvelles expériences, ont décidé d’emprunter la Route des Rhums et de découvrir les distilleries locales…

Le palais encore tapissé d’un rhum vieux de la distillerie Savana, élevé dans un fut de chêne ayant précédemment accueilli du Cognac, Antoine profite du chemin du retour pour évoquer l’une de ses nouvelles péripéties…

Las, Eric et Sébastien se tournent d’un regard suppliant vers Amandine…

[Antoine] : L’opération que j’ai développée à Fidiace n’est pas vraiment ce que l’on pourrait appeler un long fleuve tranquille… mais j’ai réussi à tenir les délais et les clients sont très contents.

Mais… j’ai hélas encore besoin de votre aide car je viens de recevoir une assignation de la part de l’un des voisins de l’opération. Il considère que plusieurs des appartements de mon projet disposent de vues directes sur son jardin et que celles-ci sont illégales. Il en demande la suppression pure et simple. Ce sont les fenêtres des WC… Je ne vais quand même pas devoir les reboucher ???

[Amandine] : Effectivement, ton “voisin” demande ta condamnation sous astreinte à procéder au bouchage de ces fenêtres.

[Antoine] : Je ne comprends pas, il est pourtant venu aux réunions d’information que j’avais organisées et même à notre fête la semaine dernière ! Et je n’ai pas eu de recours contre le permis de construire.

[Amandine] : Oui tu as raison, cela peut paraître étrange et pourtant, ce n’est pas parce que tu n’as pas eu de recours contre le PC, que ton voisin n’est pas autorisé à solliciter la suppression de vues, si celles-ci sont illégales.

[Antoine] : ???

[Amandine] : Et oui, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis de construire, le service instructeur ne vérifie jamais si le projet respecte les règles du Code civil. Il ne vérifie que la conformité du projet aux règles d’urbanisme1

D’ailleurs, comme tu le sais, il n’est pas rare que le PLU impose des règles de distance entre les bâtiments bien supérieures à celles du Code civil.

Quoi qu’il en soit, le sujet de l’existence illégale de vues directes est différent de celui du trouble anormal de voisinage que vous aviez évoqué le mois dernier avec Eric et Sébastien.

[Antoine] : ah bon ? Là, je suis perdu, vous pouvez m’expliquer ?

[Amandine] : Oui bien sûr. Les “jours” et “vues” relèvent de dispositions spécifiques du code civil.

A ce titre, les articles 678 à 680 du code civil définissent des règles à observer en matière de distances pour les terrains voisins contigus, afin de préserver la propriété et la tranquillité de chacun.

L’article 678 dispose que :

« On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions. »

Cet article évoque les fenêtres, balcons et autres semblables saillies. Cette énumération n’est bien évidemment pas limitative. Ainsi, tous les ouvrages permettant effectivement de regarder sur le fonds voisin, sans effort particulier, de manière constante et normale, peuvent être qualifiés de vue.

L’article 679 dispose quant à lui que :

« On ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance. »

Ainsi ton projet aura des vues illégales si les distances suivantes n’ont pas été respectées :

  • Pour les vues droites, c’est-à-dire dans l’axe sans tourner la tête : de 1,90 mètres ;

  • Pour les vues obliques, c’est-à-dire en tournant la tête ou en se déplaçant d’angle : de 60 centimètres.

Pour être complet, l' article 680 du Code civil , précise que la distance se calcule depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et non pas à l'aplomb de la fenêtre elle-même et exclusivement sur le fonds de celui qui pratique l'ouverture et non sur celui du fonds voisin.

Voici une illustration de ces règles :

(Source : C.A.U.E de Gironde)

Pour être complet, sache que ton voisin n’a pas nécessité de faire la preuve que ce jour lui cause un préjudice. En effet, s'agissant de la violation d'un droit réel, le juge est ordinairement admis à ordonner la suppression de la vue sans avoir à établir préalablement la gêne encourue par le propriétaire du fonds voisin.

Il convient enfin de noter que la jurisprudence actuelle tend cependant à restreindre concrètement le caractère systématique des sanctions, en faisant preuve d’une certaine souplesse. Les juges tolèrent généralement l'ouverture de vues à une distance inférieure à celle prévue par le code civil lorsqu'il ne peut en résulter aucun risque d'indiscrétion pour le voisin. Des dispenses ont ainsi été accordées pour des vues s'exerçant sur :

  • un mur aveugle2 ;

  • un toit dépourvu de toute ouverture telle qu'une lucarne ou un ciel ouvert vitré3.

A contrario, il a été jugé que les distances légales de vue s'imposent lorsque le toit en question comporte des lucarnes destinées à l'éclairage ou à l'aération des pièces situées sous les combles4.

[Antoine] : Je t’en remercie c’est très clair. Je suis rassuré, le sujet pourra être vite réglé car les plans mentionnent clairement des distances supérieures à celles prévues par les textes !

[Amandine] : Tant mieux !

[Antoine] : Amandine, tu m’indiquais tout à l’heure qu’il fallait distinguer les “vues” et les “jours”. Tu saurais m’en dire m’en dire plus sur cette notion ?

[Amandine] : Il s’agit effectivement de deux notions différentes.

L’article 676 du Code civil dispose à ce titre que :

“Le propriétaire d'un mur non mitoyen, joignant immédiatement l'héritage d'autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant.

Ces fenêtres doivent être garnies d'un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d'ouverture au plus et d'un châssis à verre dormant.”

L’article 677 poursuit en précisant que :

“Ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs.”

[Antoine] : C’est du vieux “françois” ?

[Amandine] : Presque… 😅 Comme pour les vues, ces dispositions datent de 1804 et n’ont pas évolué depuis.

Contrairement aux vues, un “jour” est donc une ouverture destinée uniquement à éclairer le lieu où elle est pratiquée. Il n'a pas pour fonction de laisser passer l'air ou de ménager une véritable vue sur l'extérieur et ses caractéristiques doivent même, par principe, s'y opposer.

Indépendamment de leurs caractéristiques techniques, là encore seules les ouvertures autorisant de réelles indiscrétions chez le voisin tendent aujourd'hui à être soumises aux interdictions et contraintes correspondantes édictées par le code civil, même si cette approche brouille les critères classiques de distinction.

Il en résulte que certaines ouvertures ne sont qualifiées ni de jours, ni de vues et ne sont donc pas soumises à leur régime. Voici quelques exemples :

  • des parois constituées de pavés de verres (translucides, bullés, etc.), scellés dans le mur et ne permettant pas de discerner les contours des objets,

  • des jours, garnis d'un treillage métallique et d'un châssis fixe sur lequel est monté un matériau translucide mais opaque, et qui ne font qu'éclairer l'immeuble en offrant des garanties de discrétion suffisantes,

  • un vasistas constitué de verre martelé non transparent, barreaudé et garni d'une moustiquaire.

[Antoine] : Et le voisin peut véritablement obtenir la suppression de cette vue ? N’y a t’il pas une “parade” ?

[Amandine] : Si, il y en a une. La constitution d’une servitude de vue permet de créer ou de maintenir des vues donnant sur le fonds voisin et implantées à une distance inférieure à celles légalement imposées par les articles 678 et 679 du code civil.

L'autorisation d’ouvrir une vue à une distance inférieure à la distance légale peut également être accordée par simple tolérance du voisin, à titre précaire ou personnel. Une telle autorisation ne constitue en revanche pas une servitude de vue. Elle ne présente donc pas les mêmes garanties.

[Antoine] : Merci les gars… heu… Amandine… C’est une nouvelle fois parfaitement clair et cela me rassure grandement ! Je vais pouvoir me lancer dans la diagonale des fous l’esprit plus serein.

[Amandine] : bonne course Antoine et à bientôt.