Marion Balgalier, avocate et médiatrice
Dans le cadre de cette nouvelle interview, vous allez faire la connaissance de Marion Balgalier, ancienne responsable d’opérations et de l’ingénierie juridique chez Paris Sud Aménagement et aujourd’hui avocate et médiatrice, à Paris. Vous découvrirez le parcours de Marion, sa vision du droit et de l’immobilier, sa passion pour la fabrique de la ville, sur les raisons qui l’ont conduite à reprendre la robe d’avocat et l'intérêt de la médiation.
MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES
2/17/202510 min read


[UM] : Bonjour Marion, nous sommes ravis que vous ayez accepté d’être notre première invitée de l’année.
Pour débuter, pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour nos lecteurs qui ne vous connaitraient pas ?
[MB] : Naturellement ! J’ai une formation initiale de juriste en droit public des affaires que j’ai suivie à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
J'ai ensuite passé le certificat d’accès à la profession d’avocat (CAPA) à Bordeaux avant de rejoindre Paris pour exercer dans différents cabinets en droit public.
Le dernier en date était le cabinet Frêche & associés dans lequel je me suis formée sur toutes les thématiques de droit public au sens large : aménagement du territoire, urbanisme (ZAC, concession d’aménagement, évaluation environnementale), expropriation, préemption, commande publique, stratégie foncière ou encore domanialité publique.
C’est à ce moment-là que je me suis confrontée à la réalité opérationnelle des projets sur lesquels j’intervenais, car en tant qu’avocate, j’avais le sentiment que certains aspects des projets, pourtant déterminants pour mes clients, m’échappaient.
Or, s’assurer que la préconisation que l’on donne est à la fois juste juridiquement mais également pertinente du point de vue opérationnel est à mon sens une nécessité absolue. Si tel n’est pas le cas, le conseil juridique formulé ne sera d’aucune utilité au client et nous n’aurons pas fait notre travail.
[UM] : Nous partageons naturellement cet avis. « Sortir » une note ou une consultation extrêmement étayée juridiquement mais totalement « hors sol » n’a que peu d’intérêt (hormis peut etre pour certains juristes du CRIDON 😉).
[MB] : C’est également à ce moment que j’ai eu l’occasion de faire mon premier PUP.
[UM] : Le Projet Urbain Partenarial.
[MB] : Exactement. J'adore cet outil qui permet de quitter le terrain réglementaire pour se placer sur le terrain partenarial. Il établit un cadre de discussion entre la personne publique et le porteur de projet et crée un pont entre les attentes du promoteur et de la ville.
Quand le premier va par exemple vouloir s’assurer qu’au moment où il va livrer son opération certaines infrastructures nécessaires à son opération, comme des voies publiques, une crèche ou une école, soient réalisées, la seconde va vouloir disposer assez rapidement de flux financiers ou que soient prises en compte des aspects architecturaux ou d’utilisation du foncier qu’elle n’avait pas prévu dans ses documents d’urbanisme mais qui pourraient faire sens, au service du développement de son territoire.
Autrement posé, le PUP va permettre de définir comment moi, promoteur, je m'inscris sur le territoire d’une collectivité et comment, moi, collectivité, je tire parti d'une intervention privée sur mon territoire.
Il permet également au promoteur de sécuriser la ligne de son bilan relative à la taxe d’aménagement (qui disparait pour laisser place à une participation PUP) et ce n’est pas rien. Au lieu de rentrer dans des calculs extrêmement compliqués pour calculer la taxe d’aménagement – je mets au défi quiconque de tomber juste - le promoteur va pouvoir arrêter le montant exact de sa contribution (NDRL : celle-ci pourra être en numéraire mais également en nature par la remise d’une partie de foncier à la collectivité).
Malheureusement, le PUP est encore sous-utilisé.
[UM] : Il est vrai que s’il nous est arrivé d’en mettre en œuvre plusieurs, dans le cadre de nos autres fonctions, son usage n’est pas répandu.
Quelles sont selon vous les raisons qui l’expliquent ?
[MB] : Je pense, tout d’abord, qu'il y a une méconnaissance de l'outil.
J’ai eu l’occasion d’en discuter, encore récemment, avec des collectivités et des promoteurs. La plupart d’entre eux me disaient en avoir entendu parler mais plus rarement qu’ils l’avaient déjà mobilisé.
Je pense également que comme c’est un contrat, qui suppose donc une validation en conseil municipal, cela peut effrayer certaines collectivités locales ou dissuader les opérateurs avec un calendrier serré.
Et puis, malheureusement, certains porteurs de projet sont encore dans une posture court-termiste et ne visent pas une implantation à long terme sur le territoire d’implantation du projet : « J'ai acquis un terrain, je réalise 60 logements, je vends les 60 logements et je m'en vais. Je n’ai donc pas d'intérêt à parler à la collectivité parce que c'est du « one shot » ».
Je trouve cette posture vraiment regrettable en termes de stratégie de développement d'un opérateur économique.
Je pense que les promoteurs (mais heureusement de plus en plus le font) devraient se dire « on s'inscrit dans un territoire, donc en lien avec la collectivité. Du coup, on dézoome le projet et notre intervention. Quelles sont les aménités alentours, comment est-ce que nous pouvons contribuer au développement du territoire ? Est-ce qu’il ne serait pas intéressant, pour le projet, pour le quartier, que ce réseau viaire, ce cheminement, cet équipement soient réalisés ? »
[UM] : Les demandes inflationnistes de contreparties de certaines collectivités locales ont peut-être parfois pu tempérer les velléités des promoteurs …
[MB] : Oui c’est évident, même si le principe de proportionnalité doit en principe cadrer les discussions entre collectivités et promoteurs...
[UM] : Je vous vois très bien prendre en main l’un des prochaines aventures d’Antoine sur ce sujet. Je pense que votre regard serait particulièrement intéressant.
[MB] : Oui ! avec plaisir ! 😉
[UM] : Qu’est ce qui vous a alors amené à décider de quitter l’avocature pour un poste de responsable d’opérations et de l’ingénierie juridique chez Paris Sud Aménagement ?
[MB] : C’est un concours de circonstances. On me l'a proposé et je me suis dit que je serais bien bête de refuser.
Comme je le disais, lorsque j’étais avocate et que j’étais en réunion, il y avait clairement des considérations, des impératifs, des contraintes, des objectifs financiers, techniques calendaires que je n'arrivais pas à saisir. Je me suis dit que ce serait l’occasion d’enfin les comprendre !
Je trouvais également hyper intéressant de comprendre comment se montent les opérations, comment les acteurs discutent entre eux, comment ils fonctionnent. En somme, je souhaitais comprendre le fonctionnement des projets d’un point de vue opérationnel, et non seulement par le prisme du droit.
[UM] : Est-ce qu’à ce moment-là vous avez pris cette opportunité pour ce qu’elle était ou vous aviez déjà en tête le bénéfice que vous pourriez en tirer en tant que juriste ?
[MB] : Les deux, en fait. Je me disais que c'était une expérience très enrichissante, qui m’attirait, que j’avais la chance que l’on soit venu me chercher en me proposant cette opportunité mais, qu’en tout état de cause, si je reprenais la robe un jour, ce serait absolument génial d’avoir cette expérience. Ce serait une nouvelle corde à mon arc.
Je n’avais aucun plan préétabli mais je savais que quoi qu'il arrive ensuite, je pourrais intégrer cette expérience à ma pratique, d'une manière ou d'une autre.
[UM] : Est-ce que le passage du coté opérationnel n’a pas été trop difficile ? Vous avez sans doute dû vous former de manière importante ?
[MB] : Même s’il y avait pas mal de choses que je savais faire comme définir un montage juridique, identifier les pièces nécessaires à la constitution d’un dossier de permis de construire, établir un planning en y intégrant toutes les procédures, relire les promesses de vente ou les délibérations, … j’ai appris le reste sur le tas, si je peux dire. Au fur et à mesure des opérations.
L’essentiel est de s’intéresser, d’être curieux et d’être bien entouré. Je l’ai particulièrement bien été par mes supérieurs et par mes collègues, qui sont des personnes de grande qualité.
Il faut également souligner qu’en tant que juristes on a appris à être organisés, rigoureux et à réfléchir d’une certaine manière. Ça m’a beaucoup servi également !
[UM] : Et donc dernièrement, vous avez décidé de créer votre cabinet. Pouvez-vous nous dire 2 mots de ce retour à vos premières amours ?
[MB] : Je me suis rendue compte que si je voulais véritablement continuer à être responsable d'opérations, il aurait fallu que je me forme sur tout un tas de sujets comme le suivi de chantier, la technique, … que je reparte dans un process de formation pour monter en compétence et pouvoir délivrer des prestations de parfaite qualité.
Cela m’a amené à prendre conscience que si les missions de responsable d’opérations étaient passionnantes et que cette expérience opérationnelle m’avait beaucoup apporté, je n'avais pas le souhait de poursuivre dans cette voie.
J'adorais être avocate. Je ne suis pas partie fâchée avec ce métier. Bien au contraire.
J’ai donc décidé de monter mon propre cabinet d'avocat à Paris avec l’envie d'exercer à ma façon, en prodiguant un conseil juridique qui est très tourné opérationnel, en utilisant ce j'ai pu réaliser et apprendre, pendant 3 ans et demi, chez “Parisudam”.
En outre, je n’ai pas envie d'être un avocat qu'on appelle simplement parce qu'il faut « taper du poing sur la table » pour effrayer l’adversaire. Je suis très favorable à l'amiable et aux discussions entre les acteurs de la Fabrique de la Ville. Je n’ai pas non plus envie de rédiger des kilomètres de consultations juridiques, sur demande, si je considère qu’un conseil juridique hors sol n’aidera pas le client dans sa prise de décision.
Mes domaines d'intervention ne changent pas. Ce sera l’aménagement du territoire au sens large parce que c'est une matière que j'adore et que j’en ai appris les rouages, lors de mon passage chez “Parisudam”.
[UM] : Vous avez récemment annoncé sur LinkedIn avoir passé avec succès un diplôme de médiateur. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui a motivé cette démarche et ce que cela vous apporte ?
[MB] : Déjà, c'est passionnant, ne serait-ce que d'un point de vue purement personnel. On comprend énormément de choses sur le fonctionnement humain, sur les interactions sociales, sur la façon de poser des questions, d'appréhender les problématiques, mais aussi de savoir se taire.
Dans le cadre d’un différend, chacune des parties considère qu’elle a raison. Parfois les écarts de positions sont particulièrement importants car ils transcendent le dossier à l’occasion duquel ils sont nés et en appellent aux valeurs même de l’individu. Il ne faut pas dans ce cas chercher qui a tort et qui a raison car, en réalité, on s’en moque et cela ne fait pas avancer le schmilblick.
L’important est de savoir si on peut avancer ensemble et où on va pouvoir aller ensemble.
Je suis assez persuadée que quand on fait un petit pas sur le côté, notamment en ouvrant la discussion lors d’un différend, on peut débloquer des situations qui semblent inextricables.
[UM] : C’est quelque chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?
[MB] : Oui, cela fait un moment que je souhaite exercer en tant que médiatrice.
Je suis en train de m’inscrire auprès des juridictions administratives. Cela étant dit, il y a beaucoup de médiateurs et peu d'affaires de médiation. La médiation n’est pas encore entrée dans les pratiques, c’est dommage.
Quoi qu’il en soit, je trouve que c'est une posture d'humilité et de réduction de son égo qui fait beaucoup de bien parce que l’on n'est pas partie au différend, en tant que médiateur. Le médiateur permet de créer un lien entre plusieurs personnes que l’on peut humblement essayer d’accompagner pour qu'ils trouvent une solution eux-mêmes.
Au-delà de la médiation en tant que telle, le process de résolution du différend est extrêmement intéressant en ce qu’il peut etre transposé dans d’autres fonctions.
Quand j’étais AMO de promoteurs, au sein de chez “Parisudam”, j'essayais d'avoir cette posture, d’être dans l’écoute, dans la recherche de solutions, y compris dans les interactions avec les partenaires des promoteurs que j’accompagnais. Cette posture facilite l’avancement des projets.
[UM] : Est-ce qu’on ne s’éloigne pas un peu de l’aménagement du territoire ?
Je ne pense pas. Au contraire même et ce pour plusieurs raisons.
Vous savez qu’à côté de la médiation juridictionnelle, il y a la médiation conventionnelle.
On peut donc très bien imaginer, dans les grands projets urbains, mettre en place une médiation de projet, en signant, en amont, une convention entre toutes les parties au projet en se disant que si à un moment donné, un différend apparaît, M. ou Mme X, qui est médiateur ou médiatrice, pourra intervenir pour permettre aux positions de se rapprocher.
La médiation présente l’intérêt de préserver la confidentialité des informations échangées en séance, d’aller plus vite qu’une action contentieuse et de mettre toutes les parties autour de la table plutôt que de devoir réaliser X appels en cause.
Il faut également savoir que, lorsque j'ai passé mon diplôme de médiateur, j'ai fait un mémoire sur les démarches participatives dans les projets urbains.
Je pense que là aussi, dans le cadre de ces démarches participatives, la médiation peut trouver toute sa place, en redonnant un petit peu de vigueur à ces concertations qui sont souvent (et malheureusement) réduites à peau de chagrin par les parties prenantes, que ce soient les collectivités, les aménageurs et les promoteurs. L’intégration de la médiation dans ces espaces peut contribuer à une Fabrique de la Ville plus qualitative et plus apaisée, j’en suis persuadée.
[UM] : On ne l’avait pas imaginé de cette manière mais c’est effectivement très juste.
Nous vous avons identifié sur LinkedIn via vos publications qui étaient toujours très riches et intéressantes. Qu'est-ce qui vous a motivé à partager votre expérience de cette manière ?
[MB] : J’avais envie de partager et de désacraliser la chose juridique, parce que je voyais certains de mes collègues perturbés par toutes ces notions juridiques.
L’idée n’était pas de faire des opérationnels de bons juristes mais qu’ils acquièrent des réflexes, qu’ils puissent « chopper » quelques outils à travers mes publications et les remobiliser dans leurs opérations.
Partager sur ce réseau social m'a également permis d’entrer en contact avec de nombreux acteurs de l’aménagement du territoire et d’échanger sur ce sujet que je trouve passionnant.
[UM] : Après tout ça, que peut-on vous souhaiter pour cette nouvelle année ?
[MB] : Que ça continue ainsi ! Que je prenne du plaisir à contribuer à la Fabrique de la Ville, en qualité d’avocate et de médiatrice, et que je puisse continuer à aider les opérationnels dans la conduite de leurs projets. Ça peut paraitre idiot dit ainsi mais mon but est d'enlever de la charge mentale, de libérer l'esprit de mes clients pour qu’ils puissent se concentrer sur l’opérationnel. Si j’y parviens, j’aurai tout gagné.
[UM] : Merci Marion pour cet échange que nous avons trouvé extrêmement intéressant et pour votre dynamisme que nous espérons pouvoir retranscrire au travers de notre interview.
[MB] : Merci à tous les deux. A bientôt.