Nathalie BAILLY, Notaire

Interview de Nathalie BAILLY, Notaire associée au sein de l'Etude ALCAIX, à Lyon

INTERVIEW

3/15/20237 min read

UM : Bonjour Nathalie, nous sommes ravis que tu ais accepté d’être la troisième invitée de notre série d’interview. Peux-tu présenter ton Etude rapidement ?

Nathalie BAILLY : Je suis notaire au sein d’une Etude notariale tournée vers l’immobilier ; d’origine lyonnaise, l’Étude Alcaix s’est toujours positionnée depuis son origine sur ce secteur, que ce soit la promotion, la copropriété, l’aménagement urbain, etc…, c’est notre cœur de métier.

Historiquement ce positionnement s’est fait car les grandes familles lyonnaises étaient déjà conseillées par des Etudes importantes de la ville ; quand mon grand-père a quitté Villefranche pour s’installer à Lyon à la fin des années 1950 en reprenant une petite Etude, la promotion immobilière connaissait alors le boom d’après-guerre, et les premières lois sur la copropriété ont permis les ventes à la découpe (loi 1965). Il s’est mis sur ce segment qui était libre et correspondait à sa fibre entrepreneuriale. Puis les générations suivantes ont développé avec plaisir cette culture de l’immobilier.

UM : Nos lecteurs proviennent d’horizons très variés (collectivités, bailleurs sociaux, promoteurs nationaux, PME de l’immobilier, marchands de biens, major du BTP, étudiants, etc.). Au-delà des missions traditionnelles du Notaire, quel type d’accompagnement un notaire peut apporter à ses clients ?

Nathalie BAILLY : Un notaire peut avoir plusieurs casquettes, la plus connue du grand public étant de conseiller des familles.

Mais il y a autant de manière d’exercer sa fonction de notaire qu’il y a d’individus : avoir une clientèle professionnelle pousse à se saisir de la dimension économique des opérations, ce qui est passionnant. La technicité juridique est mise au service de la réalisation d’une opération et il est souvent demandé au notaire d’adjoindre à ses analyses, des solutions alternatives fiables, présentées avec pédagogie aux parties prenantes.

Au-delà de la dimension technique, un notaire acquiert le sens de l’écoute et de l’humain, et développe une oreille pour essayer de comprendre les contraintes de chacun autour d’une table, afin de trouver un compromis équilibré. Cela nécessite quelques années d’expérience pour comprendre, derrière les déclarations affichées, les objectifs réellement poursuivis, pour se recentrer en reformulant la problématique ; le bon deal est quand les parties prenantes repartent avec le sentiment d’un contrat équilibré, où le juridique n’a pas été qu’une contrainte mais aussi une solution pour leur projet.

Il est satisfaisant pour un notaire d’être deal-maker et non pas simplement faire des audits pour pointer les problématiques sans les résoudre. C’est un long apprentissage et les notaires se forment aussi au contact de leurs clients qui les challengent.

UM : A l’occasion de notre deuxième numéro nous avons notamment évoqué l’offre d’acquisition foncière, les bonnes conditions suspensives à intégrer, ainsi que la manière de les définir et de les rédiger. Aurais-tu des conseils à apporter à nos lecteurs sur ce point ?

Nathalie BAILLY : Dans le deuxième numéro, vous aviez évoqué :

  • La condition suspensive de permis de construire : il faut bien rajouter son caractère exécutoire et définitif évidemment, c’est celle que l’on rencontre quotidiennement.

  • La condition de financement est une clause qui avait tendance à disparaitre sur les fonciers promoteurs et qui va peut-être réapparaitre au vu de la tension sur les marchés : à mon sens c’est une clause de sortie pour l’acquéreur, car difficilement encadrable, il faut juste que le vendeur ait conscience qu’avec une telle clause, l’acquéreur peut décider de « sortir » du dossier avec un refus de prêt ; c’est pourquoi elle est rarement acceptée à juste titre par les vendeurs.

  • Elle peut se coupler avec une condition suspensive de pré-commercialisation : « j’achète si j’obtiens 40% de contrats de réservation » ; au vu des récentes restrictions de crédit pour les particuliers, il faudrait presque dire aujourd’hui « signature de 40% de contrats de réservation confirmés par une offre de prêt »….

  • Pour les conditions suspensives sur les rapports pollution/géotechnique/amiante, il est toujours délicat de mette un montant : à partir de quel montant la présence d’amiante/plomb/machefer devient une problématique dans le bilan du promoteur ?

Côté vendeur, il vaut mieux mettre une clause parfois un peu large, mais en contrepartie rapide dans le temps, qui se lève avant le dépôt du PC ; de son côté, l’acquéreur aura tendance lui plutôt à vouloir une clause avec une durée un peu plus longue pour faire le maximum d’étude, solliciter les bureaux d’étude qui établiront des fourchettes larges, puis dans un second temps des devis plus précis.

On rencontrera aussi des conditions suspensives sur l’absence de modifications des taxes d’urbanisme connues à ce jour, d’absence de PUP, etc…, qui viendraient alourdir le bilan de l’opération.

L’intérêt des conditions suspensives dans une promesse unilatérale de vente est, en cas de non réalisation, de récupérer l’indemnité d’immobilisation versée lors de la promesse, et dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente (dit « compromis ») d’éviter l’exécution forcée par le vendeur. Leur nombre et leur rédaction vont dépendre de la complexité de l’opération, et de la concurrence sur le terrain.

UM : Un bilan d’opération comprend systématiquement une ligne dédiée aux frais de notaire. Peux-tu nous indiquer ce que cela recouvre et comment les évaluer ?

Nathalie BAILLY : Les frais dits « de notaire » dépendent des droits d’enregistrement, qui dépendent eux-mêmes du projet de l’acquéreur.

L’acquéreur a trois possibilités :

  • Soit acheter et conserver le bien existant : les droits d’enregistrement sont de 5,89 % du prix de vente + émoluments notaire 0,799 % HT + CSI (salaire conservateur) 0,1% + débours et formalités. La provision tourne autour de 7,50 % du prix de vente

  • Soit acheter et revendre le bien existant dans les 5 ans : c’est ce qu’on appelle le taux réduit à 0,71 5% « des marchands de biens » + émoluments notaire 0,799 % HT + CSI (salaire conservateur) 0,1 % + débours et formalités. La provision tourne autour de 2,40 % du prix de vente.

  • Soit enfin acheter un terrain et construire en prenant l’engagement de construire et d’achever dans les 4 ans un immeuble neuf : droit fixe de 125 €+ émoluments notaire 0,799 % HT + CSI (salaire conservateur) 0,1 % + débours et formalités. La provision tourne autour de 1,60 % du prix de vente.

On voit donc que la provision sur frais dépend principalement des droits d’enregistrement et du projet de l’acquéreur.

Et certains dossiers sont à la frontière, par exemple les réhabilitations de bâtiments, qui aboutissent ou pas à la production d’un immeuble neuf, oscillent entre l’engagement de revendre et l’engagement de construire.

UM : Quelle est ta vision du marché de l’immobilier actuel et de quelle manière, selon toi, celui-ci va-t-il être amené à évoluer dans les prochaines années ?

Nathalie BAILLY : L’immobilier depuis 2008 n’avait pas connu de grippage, il semblerait que nous rentrions dans une année d’attente et bien malin qui pourra dire s’il y a vraiment crise et combien de temps celle-ci durera. Il semblerait qu’il n’y ait pas de sur-stock dans le Rhône.

Le sujet aujourd’hui est à différents niveaux :

· La baisse du nombre de prêts bancaires, l’augmentation des taux d’intérêt, et pour les particuliers, le taux d’usure.

· Pour les promoteurs : la diminution du nombre de permis de construire, la hausse des coûts des matières premières, et également pour eux la hausse des taux d’intérêts. La hausse des coûts de production alimentée en 2021 et 2022 par la flambée des prix des matériaux s’atténue légèrement mais les experts de l’Insee s’attendent néanmoins à ce qu’ils restent à un « plateau » élevé cette année.

· Pour les investisseurs : le manque de visibilité et l’attentisme, ainsi que la hausse des taux d’intérêts bancaires.

Des signaux négatifs sont envoyés depuis la fin de l’année dernière : refus de prêt en forte hausse, augmentation des liquidations judiciaires et contraction du nombre de mise en chantier dans le neuf.

Le nouveau cycle immobilier qui s’ouvre sera à l’évidence moins porteur.

Toutefois dans les faits, les marchés sont variés et quand certains cycles se grippent, d’autres éclosent :

  • On voit que le secteur de la réhabilitation est porteur mais nécessite une vraie expertise : de nombreux promoteurs avancent sur ces questions de transition, sur la consommation foncière (zéro artificialisation), sur la sobriété énergétique ; certains créent leur propre filiale dédiée à ce secteur, d’autres nouent des partenariats avec des acteurs émergents pour allier leur compétence (réhabilitation du parc existant, transformation d’une friche industrielle, etc…)

  • Qu’on le veuille ou non, le secteur du social et de l’intermédiaire devient un domaine qui grignote des parts de marché (BRS, paniers en bloc plutôt que vente à la découpe)

  • Le marché qui interroge reste le locatif : 29% de Pinel en moins en 2022 à l’échelle nationale selon une source Adéquation ; certes les politiques ont peu la fibre de l’immobilier, mais ce chiffre indique la tension qui va continuer à s’accentuer avec la pénurie de logements à louer dans les prochaines années ; certaines parient sur un nouveau dispositif type « Scellier », cela dépendra de la gravité de la crise et de la nécessaire réponse à lui apporter par les pouvoirs publics.

UM : Quel conseil donnerais-tu à ceux parmi nos lecteurs qui réfléchissent à se lancer dans l’immobilier ?

Nathalie BAILLY :

  • Prendre le temps d’acquérir son expérience dans des entreprises et de bien se former avant de lancer sa boîte, suivre tout un cycle d’achat jusqu’à la revente pour voir les difficultés de débouclage d’une opération ;

  • Bien s’entourer dans son réseau et ses partenaires, au sens large : j’ai appris par exemple qu’il fallait bien choisir son acquéreur (en plus du critère prix qui reste déterminant) cela peut changer la face d’un deal.

UM : Si tu pouvais nous recommander notre prochain invité, ce serait qui ?

Nathalie BAILLY : Un acteur dans la réhabilitation ou reconversion de friche par exemple : les promoteurs créent de nombreux partenariats avec de nouveaux acteurs en allant chercher leur savoir-faire dans le bois, le bas carbone, ou dans le recyclage urbain pour reconvertir des sites pollués ou délaissés en de nouveaux lieux de vie répondant aux enjeux environnementaux

UM : Merci Nathalie d’avoir accepté notre invitation ainsi que pour cet échange extrêmement intéressant.