Quand le Génie de l'architecture se perd dans les dédales des droits de propriété intellectuelle

DTous les mois, nous vous proposons de décortiquez une nouvelle aventure immobilière d'Antoine, notre personnage fictif, à l'occasion d'un échange avec Eric et Sébastien, cofondateurs d'UrbanSolutions et de la newsletter (Un)Mute

MONTAGE D'OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES

Sébastien Joubert-Gauthier

9/4/20239 min read

[Vendredi 1er septembre 2023, 10h22, depuis son appartement lyonnais, Antoine contacte Sébastien & Eric]

[Antoine] : Salut (Un)Mute, comme convenu, je vous appelle pour vous tenir informés de l’avancer de mes discussions avec Léon.

Fort de l’échange que nous avons eu il y a quelques jours et des renseignements que vous m’avez donnés, nous sommes parvenus enfin à un accord qui protège les droits d'auteur de Léon tout en préservant l'esprit de collaboration qui a fait naître notre partenariat. Les plans se concrétisent et les différents bâtiments prennent forme dans le paysage urbain.

[UM**] : Salut Antoine, c’est un super nouvelle. Bravo a toi et à Léon.

Ton histoire et de celle de ton architecte génial nous rappelle que la créativité et la légalité ne sont pas nécessairement des adversaires. Avec de la persévérance, de l'humour et un peu d'expertise juridique, il est possible de trouver un terrain d'entente entre les aspirations créatives et les réalités juridiques.

Nous te proposons de prendre la machine à explorer le temps et de revenir quelques jours en arrière pour que nos lecteurs comprennent l’aventure que tu as vécue.

[Lundi 3 juillet 2023, appartement d’Antoine]

Tout commence dans l’appartement d'Antoine, où l'odeur du café se mêle à l'excitation d'une nouvelle collaboration.

Notre aventurier, qui, comme vous le savez, est diplômé d’architecture, a décidé de s’associer avec l'architecte de renom, Léon LeGénie, pour la conception architecturale de son opération de FIDIACE.

Leurs idées fusent comme des étincelles dans un feu d'artifice et ils élaborent ensemble les plans du futur projet immobilier. Le duo travaille dur pour donner vie aux futurs bâtiments qui doivent fusionner l'élégance du passé avec les technologies du futur tout en étant respectueux de l’environnement.

Les heures défilent sans que nos deux comparses ne s’en rendent compte, Antoine et Léon jonglant avec les différents plans comme s'ils étaient des assiettes chinoises.

Cependant, après plusieurs jours de travail et alors qu’Antoine et Léon lèvent le voile sur leurs œuvres créatives, une ombre plane sur leur partenariat enthousiaste.

Léon, génial mais légèrement susceptible, commence à évoquer les droits d'auteur sur les plans et les concepts qu'il a apportés à la table.

La fièvre de la propriété intellectuelle s'empare de la pièce, et Antoine commence à se sentir comme un explorateur perdu dans les méandres d'une jungle juridique.

C’est dans ce contexte que nous avons eu le plaisir d’échanger à nouveau avec Antoine.

[Antoine] : Salut (Un)Mute, je reviens vers vous car je rencontre une difficulté avec Léon, l’architecte avec lequel je travaille depuis plusieurs semaines pour établir le dossier de demande de permis de construire de mon opération de FIDIACE. Alors que tout se passait pour le mieux, celui-ci refuse de signer le dossier PC si nous ne nous mettons pas d’accord sur son contrat et la protection de ses droits de propriété intellectuelle.

Mes cours d’architecture datant un peu, pourriez-vous me rappeler ce que recouvre ce droit et comment organiser sa cession pour tout à la fois sécuriser mon projet immobilier et mon partenaire ?

[UM**] : En droit interne, c’est le code de la propriété intellectuelle (CPI) qui reconnait le droit de propriété intellectuelle des architectes.

Le CPI aborde tout d’abord, sous le visa de son article L. 111-1, l’œuvre de l’esprit en prévoyant que :

« L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

L’article L 112-2, ajoute, s’agissant des œuvres architecturales, que :

« Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :

(…)

Les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;

(…)

12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ».

La protection dont bénéficie l’auteur est indépendante de l'achèvement de l‘œuvre comme de sa divulgation au public (puisqu’elle est reconnue « du seul fait de sa création »), mais n’inclut pas le support matériel. Elle s’acquiert sans formalité.

[Antoine] : Tout ce que Léon a produit est donc considéré comme une œuvre de l’esprit et, de ce fait, est protégé ?

[UM**] : Même si les architectes ont parfois tendance à l’oublier, ce n’est pas la totalité de leur travail qui est protégée par ce code mais leurs seules œuvres architecturales créatives.

Il résulte des articles 1er et 2 de la loi du 11 mars 1957 (art. L. 111-1 et L. 112-1 du CPI) que, si les œuvres de l'esprit sont protégées, quels qu'en soient le genre, la forme ou la destination, c'est à la condition qu'elles soient originales (Cass. 1re civ., 6 mars 1979, n° 76-15.367).

[Antoine] : Comment savoir si on face à une ŒUVRE ORIGINALE ?

[UM**] : Cette notion ne fait pas l’objet d’une définition précise dans les textes et il faut se tourner vers la jurisprudence qui, au fil des décisions, a permis d’en définir les critères constitutifs.

L'œuvre est originale lorsqu'elle porte la marque de la personnalité, de l'individualité, du goût, de l'intelligence et du savoir-faire de son créateur (CA Paris, 30 oct. 1996).

Elle doit être le fait d'une conception intellectuelle hors-série, l'architecte n'étant pas protégé par la loi qu'en tant qu'artiste créateur de formes et non en tant qu'ingénieur employant des procédés purement techniques (CA Bordeaux, 13 févr. 1995).

Sont par exemple protégés les plans, croquis et maquettes conçus par un architecte mais également les édifices eux-mêmes dès lors, comme nous venons de l’évoquer, qu'ils présentent un caractère original.

En revanche, la conception intellectuelle d'une œuvre est, en elle-même, insuffisante pour donner naissance au droit d'auteur. En effet, un tel droit suppose au moins un début de concrétisation de l'œuvre, notamment, par des esquisses (CA Rouen, 2e ch., 26 juin 1997).

[Antoine] : Qu’est-il possible de défendre au titre du droit d’auteur ?

[UM**] : La reconnaissance d’un droit d’auteur entraine le bénéfice au profit de l’auteur de ses deux composantes essentielles qui sont les droits patrimoniaux et le droit moral.

[Antoine] : Vous évoquez souvent la notion d’auteur. Ne peut-il pas y avoir un débat sur qui est vraiment l’auteur de l’œuvre ? Par exemple, dans le cadre des sessions de travail avec Léon, je considère avoir également participé à la définition de la conception architecturale …

[UM**] : C’est une remarque extrêmement pertinente, Antoine qui trouve sa réponse en deux temps.

Tout d’abord, le CPI pose le principe que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée (article L. 113-1 du CPI).

Ensuite, il permet de répondre à la difficulté que tu soulèves par la reconnaissance des œuvres collectives, collaboratives et composites.

L’œuvre collective est celle créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et sous son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration (par exemple les différents architectes d’une SCP) se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé (art. L. 113-2, al. 3 du CPI).

Dans ce cas, la propriété de l’œuvre appartient à la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.

L’œuvre de collaboration est celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques (art. L. 113-2, al. 1er du CPI).

L'œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs.

Il nous semble que dans ton cas, tu devrais essayer de faire reconnaitre l’œuvre de collaboration [NDLR : pour les besoins pédagogiques de cet article, nous faisons ici volontairement abstraction des éventuelles incompatibilités entre les responsabilités d’architecte que pourraient prendre Antoine et celles de Maître d’Ouvrage].

L’œuvre composite est l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière (art. L. 113-2, al. 2 du CPI).

L'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante. L'auteur de l'œuvre composite qui veut exploiter sa création doit obtenir l'autorisation de l'auteur de l'œuvre préexistante.

[Antoine] : Dans le cadre des opérations immobilières, la cession des droits patrimoniaux de l’architecte n’est-elle pas devenue un impératif, notamment du fait des exigences des investisseurs qui imposeront eux également cette cession ?

[UM**] : Il faut déjà retenir qu’en l’absence de cession du droit de propriété, le propriétaire/investisseur ne sera pas totalement démuni puisqu’il conserve le droit d’adapter l’œuvre en fonction de l’évolution de ses besoins, sous réserve de toute atteinte au droit moral en cas de dénaturation de l’œuvre.

Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation, a considéré que :

« la vocation utilitaire du bâtiment commandé à un architecte interdit à celui-ci de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre, à laquelle son propriétaire est en droit d'apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l'adapter à des besoins nouveaux ; qu'il appartient néanmoins à l'autorité judiciaire d'apprécier si ces altérations de l'œuvre architecturale sont légitimées, eu égard à leur nature et à leur importance, par les circonstances qui ont contraint le propriétaire à y procéder » (Cass. 1re civ., 7 janvier 1992, n° 90-17534, publié au Bulletin).

De son côté, le Conseil d'Etat a considéré que :

« si en raison de la vocation d'un stade, l'architecte qui l'a conçu ne peut prétendre imposer au maître de l'ouvrage une intangibilité absolue de son œuvre, ce dernier ne peut toutefois porter atteinte au droit de l'auteur de l'œuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans la seule mesure où elles sont rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment la destination de l'ouvrage ou son adaptation à des besoins nouveaux » (CE, 11 septembre 2006, n° 265174).

Le juge va donc rechercher un équilibre entre les prérogatives découlant du droit d'auteur et celles découlant du droit de propriété.

A titre d’exemples, les deux affaires suivantes, dont il est fait mention sur le site internet de la Mutuelle des Architectes Français (MAF), mettant en avant la précarité du droit d’auteur de l’architecte ont été très médiatisées ces dernières années :

- S’agissant du musée d’Arles conçu par l’architecte Henri Ciriani : pour le projet d’extension (2013), la cour d’appel a reconnu le droit de propriété du maître d’ouvrage sur un bâtiment à vocation utilitaire lui permettant d’y apporter des modifications pour l’adapter à des nouveaux besoins grâce à une extension modeste, sans caractère disproportionné, respectant les couleurs originelles des murs et des façades.

- S’agissant d’un ensemble immobilier HLM à Courcouronnes conçu par l’architecte Paul Chemetov : pour la démolition, la cour d’appel a estimé que le projet répondait à un motif légitime d’intérêt général proportionné au droit moral de l’architecte et ne procédant pas d’un abus de droit du propriétaire ou d’un comportement fautif.

Cela étant, nous partageons ta remarque et aujourd’hui la plupart des investisseurs ne se contentent pas de la seule possibilité d’adapter l’œuvre et exigent dans les actes de VEFA une cession à leur profit des droits patrimoniaux de l’architecte. Cela implique, au préalable, que le Maître d’Ouvrage ait négocié avec l’architecte une telle cession de ses droits.

La clause encadrant la cession des droits devra préciser la nature et l’étendue des droits cédés, ainsi que les champs géographiques et temporel.

Article L131-3 du CPI :

“La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article.

Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'œuvre imprimée.

Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues. »

Quant à la contrepartie de la cession, il en est fait mention dans la clause du contrat d’architecte (gratuité ou prix identifié) mais peut aussi faire l’objet d’une négociation séparée et même postérieure à la signature du contrat. Enfin, la cession s’opère généralement « au fur et à mesure de la création de l’œuvre et des études ».

[Antoine] : C’est très clair. Je vous remercie une nouvelle fois pour vos conseils qui vont me permettre d’échanger avec Léon.

Et voilà, chers lecteurs, l'histoire captivante d'Antoine et de son plongeon audacieux dans les eaux tumultueuses du droit d'auteur en architecture.

Jusqu'à la prochaine aventure, restez curieux, créatifs et prêts à explorer de nouveaux horizons, tant architecturaux que juridiques !